Rivellon...

Rivellon et ses champs fleuris, ses rivières à l'eau claire, ses impénétrables douves et son activité, bourdonnante, chantante, inépuisable comme tout semble l'être ici : du marchand halant le public pour que l'on regarde son étal au coursier filant dans les rues comme si sa vie en dépendait, en passant par cette jeune mère qui porte un enfant dans ses bras et tient l'autre par la main... Un saphir enchassé dans une mer émeraude. Et pourtant, sous ce vernis luxuriant et charmant, une infection, un mal ronge les bas-quartiers. La pauvreté, un fléau des plus profanes, des plus communs, et qui détruit pourtant toute l'image idyllique que Meridiem essaie de se donner. Quel mythe arthurien y'a t'il à trouver dans ces ruelles sombres où il n'y a que des pleurs pour répondre aux toux douloureuses ? Quel réconfort y'a t'il à aller chercher dans la vision d'un chateau étincelant, lorsque l'on dort à même le sol d'un poulailler ?

C'était plus fort que toi, ma soeur, et tu n'as pas pu te retenir. Au bout de quelques jours à peine, nous passions nos journées dans une petite maison abandonnée, à soigner les indigents. Gagner leur confiance avait été difficile, mais sitôt avaient ils compris que nos intentions étaient pures et que nous pouvions leur apporter un soulagement, sitôt nous étions nous vus offrir un abri et les malades avaient ils commencé à s'attrouper. Alors, naturellement, nous les avions soignés, puis nous avions été invités à participer à la distribution de nourriture quotidienne... Nous avons rapidement compris que nos cornes éveillaient la méfiance ici, non pas parce qu'elles évoquaient les homme-bêtes du désert, mais parce qu'elles faisaient penser aux premiers hommes d'Halogia. Alors, nous acceptâmes de les laisser là.

Les jours s'écoulaient, lorsqu'une des personnes en charge de la soupe populaire tint à nous présenter, et c'est ainsi que nous fîmes la rencontre de Rosalia... Bien sûr, nous avions entendu parler d'elle. La Reine de Meridiem, dont on disait qu'elle était née il y'a presque un millénaire. Une bien étrange cousine. Mais dont la dévotion à son peuple semblait aussi sincère que la nôtre. Et, peut être pour la première fois depuis plusieurs décennies maintenant, nous rencontrions quelqu'un de plus âgé que nous... Un étrange sentiment, mais qui était plus réconfortant qu'attendu. Nous pûmes n'échanger que quelques mots, pourtant, nous savions toutes trois que la connexion nous liant était plus profonde que cela. C'est donc sans surprise que nous reçûmes sa convocation, et reprirent nos plus beaux habits pour nous rendre au Château, l'après midi suivant.

Si les gardes étaient plus déplaisants que ceux de Pharaon l'avaient été, nous ne nous en formalisâmes pas. Ici, nous n'étions que des étrangères, après tout. Aucune raison pour eux de nous faire confiance, ou pour nous d'attendre autre chose... Mais alors que nous entrâmes dans le petit salon que la reine avait réservé pour nous, et après les usages habituels de la cour, nous commençâmes à deviser. C'était une femme d'une rare intelligence, d'une grande délicatesse... Et avec une maitrise de l'étiquette que nous ne possédions pas. Après tout, nous n'étions que des voyageuses bien éduquées. Pourtant, elle acceptait chacune de nos erreurs avec un sourire et détournait le regard poliment. Et, alors que nous parlions, nous entendîmes soudain quelqu'un toquer à la porte.

"Entrez donc !"

Il ne nous faut qu'un instant pour le reconnaître.

Son port altier, un visage à peine sorti de l'adolescence, mais empreint d'un grand sérieux et, à vrai dire, d'une grande beauté... Il n'a pas même à dire son premier mot pour que nous le rconnaissions. Adrian, le Prince héritier. Mais presque plus important, sitôt est il entré, sitôt avons-nous senti en lui quelque chose. Une puanteur rance, une sensation de brûlure intense, et pourtant, un charme indicible, un attrait formidable, l'envie de baigner dans sa grâce et de le déchiqueter... Et sitôt est il entré, sitôt t'es tu terrée en moi, ma soeur. Ne t'en fais pas, je veille sur toi.

En quelques instants, nous nous redressons et faisons révérence, comme on nous l'a appris. Son inclinaison de tête en dit plus sur lui que nulle autre entrée en scène. Un jeune homme qui dansait au rythme de la cour, mais de ses propres pas. Une élégance brigande de coeurs et de sourires, déjà apte à imposer ses manières à une cour qui ne demandait qu'à être influencé. Un prince qui n'était certainement pas parfait, au regard d'un chambellan ou d'un historien, mais qui gagnerait l'amour et l'approbation de ses suivants aussi naturellement que nous avions gagné ceux des habitants de Shamedar.

"Votre Altesse Royale, je vous en prie, vous me faites trop d'honneur !

Je ne suis qu'une humble servante, qui a à coeur de soigner les petites gens. Sa Majesté votre mère a bien plus de mérite. Elle soigne et aide en un jour plus de personnes que je ne l'ai fait en un siècle. Mais j'en oublie mes manières... Je suis Farah, que l'on nomme "Matrone de Shamedar", mais je crains ne pas avoir de nom de famille à vous donner. C'est un honneur de vous rencontrer. Sa Majesté et moi étions en train de parler de Shamedar, justement... En avez-vous déjà entendu parler ?

Je sais que pour beaucoup de Meridiems, on lui accole l'image facile d'un lieu de débauche et de vices, mais je vous prie de croire qu'il n'en est rien. La nature de l'art peut parfois être mal comprise, voyez-vous. Ainsi, des danses complexes et narrant de grandes épopées de jadis sont trop souvent perçues comme sensuelles, ou pire... Bien sûr, chacun est légitime dans ce que l'art lui fait ressentir, mais il me semble dommage de se limiter à une lecture... Et, bien sûr, il existe bien d'autres formes artistiques en Qalish, et plus spécifiquement dans mon Oasis.

Saviez-vous que c'est là aussi que notre Prince, Theles Hasis I, forme certains des savants qui constitueront un jour sa cour ? Par l'histoire de cet endroit, elle est à la croisée des cultures, entre humains et homme-bêtes... Si, d'aventure, vous vous rendiez en Qalish, Votre Altesse Royale, ce serait un honneur pour moi que de vous recevoir. J'espère cependant que vous n'avez pas un tel voyage en tête dans les prochaines semaines, car je risque d'être encore sur les routes..."

Il lui semble que nous l'admirons ? Eh bien, cela fait au moins une des trois personnes impliquées qui y croit.

Il y'avait certaines ressemblances entre Theles Hasis I et Adrian Hresvaelgr. Tous deux allaient douloureusement droit au but, mais après tout, n'était-ce pas le privilège des princes ? Tous et toutes dansaient au rythme imposé par le Roi et la Reine, mais les Princes, eux, pouvaient imposer ce qu'ils désiraient. Et, au geste de sa mère, elle se moquait bien de l'audace de son fils. Après tout, son détour en Halogia lui avait appris ce qu'il en était... Rosalia était peut être une reine pacifique et d'une grande douceur, mais son mari était un conquérant. Il avait peut être pactisé avec les elfes, mais cela ne faisait pas étouffer le fait qu'une révolte d'un noble avait pris fin en une unique nuit...

Adrian était donc à la croisée des chemins. Fils d'un lion et d'une fleur, il pouvait aussi bien suivre une voie que l'autre, ou tracer la sienne... Mais à son regard étrangement acéré, à ses mimiques, et à ses questions, il nous évoquait un oiseau de proie. Nous ne doutions pas que, comme sa mère, il était motivé par les meilleures intentions du monde, mais nous avions déjà pu voir que les meilleures intentions du monde pouvaient devenir un fléau pour ce dernier, si elles étaient imposées... Alors quelle voie ce Prince suivrait il ? Cela dépendrait sans doute de ceux qu'il rencontrerait, et de ce qu'il tirerait d'eux. Nous avions déjà rencontré bien des gens de pouvoir, d'une rare importance, pourtant, c'est à cet instant que nous eûmes le plus cette impression...

C'était un point d'inflexion. Le Prince Adrian changerait le monde, et ce que nous dirions aujourd'hui influencerait son règne... Peut être à une échelle des plus modestes, mais il convenait de faire attention. Alors, doucement, nous lui rendîmes son sourire.

"Theles Hasis I est un jeune homme fascinant...

J'ai passé deux Siècles à Shamedar, et j'y ai rencontré des généraux qalishi et homme-bêtes, plusieurs générations de Pharaon, et des Dieux-Guerriers. Malgré leurs prouesses, leur caractère exceptionnel, et, bien souvent, leur finesse d'esprit, aucun ne m'a semblé aussi intriguant que le Prince. Il conjugue la tradition guerrière de sa dynastie avec un grand ouverture aux arts et aux sciences. Cette cour dont je parlais à Shamedar, n'est pas du même genre que celles de Meridiem. Il dipose de bien des courtisans issus de familles prestigieuses, mais il a fondé en Shamedar une académie.

En quelques mots, il s'agit d'y former les architectes, philosophes, et ingénieurs de demain, qu'ils soient issus de familles nobles ou sans-nom. Ils étudient les mathématiques, les sciences naturelles, et tout ce dont on a besoin, je crois, pour rendre le Désert vivable. En ce qui concerne mon avis à son sujet... Oui, je pense qu'il est un Visionnaire. La Qalish qu'il veut voir naître de ses efforts n'est pas celle que j'ai connue, et pour laquelle j'ai tant oeuvré à pacifier Shamedar, mais au bout du compte, elle sera une terre d'art, de culture, où chacun pourra vivre dans l'abondance et sans manquer de rien...

Bien sur, ce n'est qu'une idée, une ébauche tracée dans le sable, mais son projet est beau. Aussi, lorsque mon voyage sera terminé, rentrerai-je certainement à Shamedar pour offrir l'aide que je pourrai à ses étudiants. Après tout, si lui ne verra peut être pas le fruit de son labeur, je le risque bien... Comme vous, Votre Altesse Royale. C'est là votre avantage : si les Sept le veulent, vous régnerez pendant des siècles et pourrez apporter les changements que vous souhaitez au monde avec bien plus de constance que les monarques humains..."