[oratrice]
[amie des animaux]
[acupunctrice]
[armure de bonne facture]
La jeune élémentaire entama sa pérégrination nordique par un sinueux détour, n’allant point négliger le littoral de la contrée cendreuse et ses indigènes cavernicoles primitifs bien ardus à fréquenter, ni les trois ou quatre pittoresques hameaux à demi propices à s’unir dans un doux rêve d’optimisation agraire des sols fertiles ; vagabondant de grottes en crevasses et pics, singeant ascètes et autres pèlerins à peine épargnés par la manœuvre.
Elle s’orientait encore mal au grès des champs magnétiques, sans doute étourdie par la myriade de distractions que jalonnait ce parcours abstrus. Fût-ce égoïste de chercher sa voie dans l’étude de civilisations balbutiantes, afin de mieux mûrir l’optique d’en dégager une utilité intime, puis un judicieux apport.
L’électrine ne cernerait pas avant sa juste place, quand autrui s’insérait dans un schéma de survie ou de progrès, mû par la nécessaire activité du biologique talonné par la certitude d’un lent et funeste déclin. Elle, incarnant à contrario une force immuable, phénomène si nébuleux et impénétrable qu’on désespérait d’en savourer la résolution, observait circonspecte à son propre sujet, tel un silvestre voyant vaquer les longues-oreilles.
Une minuscule anonyme s’égarait ainsi à suivre moultes pistes, trop curieuse, par propension cartographe -nonobstant un flagrant souci à l’exercice de cette tâche-, pure fantaisie de gamine en cela analogue aux éphémères. Férue d’explorations vierges ou hasardeuses, elle s’était comme mise en devoir de découvrir les moindres recoins planétaires, tant insolites qu’anodins ou forts banals, dans une haletante recherche de l’inédit. Un négociant nomade saisonnier se fendit d’une pique, tandis qu’il l’envisageait bien entreprendre d’aussi futiles calculs des grains du désert qu’elle ne répertoriait les pitons des divers cols, sans toutefois émettre de sobriquets.
Connaître un territoire lui permettait de mieux comprendre les peuples et groupuscules vers qui s’élançait sa grande lubie : conserver une trace de ces vies, tant fugaces qu’exotiques, mais surtout organisées en cercles de semblables.
Sa propre singularité causait parfois sourde détresse, jalousant presque ces spécimens trop agités pour saisir leur privilège. Elle désirait avec frénésie, toute fébrile, dans l’expectative, rencontrer un congénère. Mais la chose relevait du miracle, aussi s’adonna-t’elle sans rechigner aux mille oraisons vers celui qui l’exhausserait bientôt, tout désigné comme son créateur, sinon le phare de l’existence. Satisfaire enfin ce besoin d’écho étrillerait la pénible solitude pour peu effilochée par l’énergique vogue chez de parfaits inconnus, cheminant sans cap vers de lointains horizons où résider, d’une certaine manière, quelques mois ou années, s’oubliant par le biais d’intenses crises d’euphorie.
De l'attraction des corps étranges
D’éparses flocons s’abattent sur la terre meuble en proie à l’hiver. De temps à autres, la brise mugissante précipite la chute de ces cristaux au contact du sol. Loin d’y périr, ceux-ci rejoignent un nombre incalculable de leurs congénères. Quand à celle qui observe, interdite, ce défilé se déroulant sur son perchoir comme au lointain horizon, elle ne peut hélas se targuer d’être aussi bien entourée que la neige maquillant sa provenance.
Les mains rivées sur le manche de sa masse, Ymir soupire. Pas plus tard que ce matin, la périphérie de son domaine fut le théâtre d’un conflit. Pas une de ces rixes impliquant les Lodjur, auxquelles elle aime prendre part afin de reforger les armures Meridiennes de façon sanglante. Simplement une expédition punitive des Stahlbar, dont elle n’a saisi du motif que la destination : le clan des Feradler, dont la position de l’élémentaire semble alors interdire l’accès à tout ceux venant de l’Ouest comme du Sud. Et quand bien même ce ne soit qu’à moitié faux, les raisons de ce périmètre surveillé sont propres à la géante qui ne bénéficie d’aucun traitement de faveur venant des occupants du Fortin.
Plutôt, à sa manière, défend-elle quelconque intrus de pénétrer armé dans le royaume de la divinité locale. Au delà du pic occupé par la terrestre s’étend le territoire de Vulkharn et si le temps mena les Feradler à s’y établir, l’engeance n’osa jamais profaner ce sanctuaire en s’y sédentarisant. N’est-ce pas la plus grande marque de respect qu’on puisse accorder a l’immense volcan, depuis cette vue imprenable qui n’empiète pas sur sa magnificence, que de lui accorder son inébranlable piété aussi souvent que l’envie en habite le cœur de roche de l’apparente Halogienne ?
C’est pourquoi, bien malgré-elle, Ymir constitua un rempart que les parvenus du Donjon franchiraient dépourvus de moyens hostiles, ou ne franchiraient pas. Elle entendit qu’il fut question de sanctionner le rapt de la fille du dignitaire, reposant actuellement entre des pattes d’ours aux intentions peu nobles. Bien sûr, comprendre ne suffit pas à panser le mal. C’est pourquoi la gardienne fut contrainte de jouer de son égale carrure magique, de son regard acéré et même de quelques craquements de sa bien-aimée origine, afin de persuader la délégation de faire demi-tour. De préférence avant d’initier une querelle qui les mèneraient tous vers l’au-delà sans même atteindre leur destination. Sa voix simulée n’est pas aussi tonitruante que les plus graves sonorités des barbares. Pour autant, ce n’est pas demain la veille qu’on lui imposera quelconque décision au regard d’une terre qu’elle fut la première à fouler. Quant à visiter les Feradler pour savoir de quoi il retourne, cela occuperait au moins un des gravats de l’immense carrière que constitue son existence en Nymlerith.
Malheureusement pour Ymir, la sourde manifestation de sa colère n’eut pas comme unique effet de tempérer les ardeurs des Stahlbar. Le hasard veut que l’ermite solitaire ait meublé la quiétude de sa tanière par la création de dizaines d’ersatz constituant sa progéniture. Des agrégations minérales qui, si elles sont estimées différemment par les éphémères, sont tout autant d’enfants chéris par une créatrice endossant pour eux tous les rôles d’une génitrice. La barbare aux appendices sylvestres a toutefois failli à contenir sa rage en présence de deux cristallins. Ceux-ci, protégés par le dos de leur mère, sentirent alors le sol se dérober sous leurs pieds. Pour cause : ce qui leur sert de jambes se fissura purement et simplement sous la secousse. Sans râler, voilà l’élémentaire qui s’attelle à réparer la faute émanant de son comportement. Le processus serait quasiment instantané si la géomancienne consentait à régénérer les corps de ses protégés. Mais puisqu’elle est attachée à ces enveloppes, la sentinelle réparera d’abord les membres fêlés avant de les réintégrer aux membres amputés de ses chers agrégats.
Le procédé, assez chronophage, nécessitera qu’on la relève dans sa passive observation du lointain. C’est un troisième de ses enfants qui se chargera de cela, une vue remarquable provenant de sa capacité plus ou moins naturelle à refléter la lumière mieux que tous les autres. Celui-ci est fait d’adamant pur, sous ses airs de jeune humain efféminé. Hélas, la terrestre n’aurait le temps de recoller les membres qu’à un seul de ses ersatz avant que l’observateur derrière elle ne s’époumone.
« Maman ! Il y a.. une autre Meridienne. Beaucoup plus jeune que nous. On dirait qu’elle est seule, mais c’est ici qu’elle se dirige. »
L’être adamant, un des premiers façonnés par Ymir, était en vérité plus vieux que n’importe quel être humain susceptible de se trouver en Nymlerith à présent. Cependant, dans l’esprit de sa mère, la considération de sa jeunesse résidait surtout dans sa physiologie inaltérable. Lorsqu’elle en eut le cœur net, elle remarqua cette Meridienne effectivement seule, ayant pour ainsi dire une apparence infantile. L’arriviste étant dépourvue d’armes, c’est plus intriguée que menacée qu’Ymir décidera de s’enquérir de la raison de cette visite. Quelque peu outrée également, qu’on puisse laisser une candide s’aventurer en terre si hostile sans aucun moyen de se défendre. Les Halogiens sont peut-être barbares, mais eux au moins donnent aux jeunes entreprenant pareils périples les moyens de les réussir.
Prudence étant mère de sûreté, les trois agrégats seront invités à se terrer au creux de la grotte servant de refuge à toute cette famille minérale. La sentinelle aura ainsi le cœur plus léger de les savoir en sécurité, dans l’éventualité ou il lui arriverait un fâcheux incident. La jeune voyageuse paraissait peut-être inoffensive mais l’élémentaire Geo serait bien sotte de se fier aux apparences dans un monde où la magie permets à nul autre qu’elle-même de se faire passer pour une Halogienne aux traits vaguement elfiques. Tandis qu’elle défie les éléments, la fulgurante pourrait voir la silhouette de son homologue terrestre fendre le blizzard sans qu’il ne l’incommode le moins du monde. Le marteau qui aurait pu déchirer la terre ce matin-même reposait actuellement dans son dos. Pourvu qu’elle n’ait pas à s’en servir, se dit-elle avant de finalement interpeller l’inconnue.
« Une bien folle entreprise pour une si jeune Meridienne sous-équipée que de braver le territoire d’Halogia. Viens donc par ici. »
Le but de la manœuvre était clair : éloigner cette menace potentielle de son havre et de sa famille, en la redirigeant vers une des grottes secondaires de la Géomancienne. Des points de chute servant autant de refuge à la terrestre que de moyen de ne plus être vue pendant un temps en Halogia. Combien en possède-t-elle exactement, à travers le territoire ? Bien plus qu’on ne peut en compter avec les doigts. Celui dans lequel elle accueillera l’errante n’est ainsi pas doté d’un feu pour se réchauffer. Un tel crépitement est inutile, dans un enfoncement constitué de roche capable de conserver la chaleur si rare et précieuse par ici. La cavité apparaît d’ailleurs comme trop proprement façonnée pour avoir été creusée à la main. Ymir n’a certes jamais cherché à se cacher, mais elle ne crie pas non plus ouvertement sur tous les pics qu’elle est la forme de magie terrestre la plus pure. Au gré des siècles, le fait de voir si ses rencontres savent le comprendre ou non constitue un de ses innombrables passe-temps.
« Sent toi libre de faire comme chez toi, d’ailleurs. »
L’hospitalité de la sentinelle dans toute sa splendeur. Hélas, cette cache en particulier n’avait que peu de vivres à offrir, faute de ravitaillement récent. Pourvu que son invitée apprécie la viande séchée ? En tout cas, l’errante trouverait au moins une assise sous la forme d’un banc de chêne sculpté. Ainsi qu’un vague reposoir improvisé en une table du même matériau. Pour le reste, la chaleur de la roche interne ainsi que la neige filtrée dans d’internes sillons donneraient accès à de l’eau pure. Le liquide est bien sûr rafraîchi par le climat externe avant d’être servi dans un récipient en cristal, paraissant véritable travail d’orfèvre pour un regard suffisamment critique. Deux de ces précieux rafraîchissements épouseraient le bois aplani avant que l’hôte ne se décide à renouveler la conversation.
« Alors, petite, qu’est-ce qui t’amènes si loin de chez toi ? »
[oratrice]
[amie des animaux]
[acupunctrice]
[armure de bonne facture]
Une apparition soudaine l’arracha aussi aux soliloques techniques que ne l’aurait produit le grondement d’une néfaste déferlante, or cette massive carrure des natifs, esquissée entre deux rafales à demi opaques, instillait non point de stupeur mais bien l’allégresse dans sa trogne trompeuse. Palabres et outil létal résonnèrent à rebours du comble, tandis que l’écart se resserrait en étau sur la pente molle où la jolie fange noyait jusqu’à ses genoux, alors chancelants face à l’inamovible figure qui ne lui inspirait pas d’avantage de crainte. L’infini plaisir d’analyse supplanta encore l’habitude des vives ou rustres inspections subies par des soldats aux strictes consignes.
La fille-foudre soutint ce regard sans sourciller, se permit l’audace d’un sourire réflexe, affrontant de sa belle grisaille-azure les éclats purpurins d’une albâtre prompte à éprouver sa curieuse attitude, digne des téméraires marmots qui s’entraînaient au sud-ouest selon des rites encore inconnus de l’étrangère, voire des explorateurs peu soucieux de froisser les diverses mœurs.
N’allant pas signifier avec dédain le fait de se fourvoyer sur son cas, car il demeurait improbable sinon inenvisagé pour quiconque, d’extérieur à son espèce, d’admettre l’unicité à l’œuvre. Elle-même ne remarquait rien de la façade adverse, et faillit se satisfaire d’abuser sans faillir. Son faux stigmate frontal n’était pas seul en mesure d’indiquer sa nature singulière, même s’il interrogeait à maintes reprises ceux qui y attardaient leurs neurones ; hélas peu visible en ce climat.
Des fards du style lui siéraient peut-être. Elle en méditerait plus tard la teinte et l’alliage.
Non plus vexée, Alnis, d’aventure estourbie par le décalage de la scène, suivit sans appréhension ni répartie d’aucune sorte ce guide inopiné, providentiel ; du reste muette. Paraître craintive, éreintée voire idiote et bien naïve ne desservait point l’étude du personnage. L’autre inconnue lui faisait dos avec la défiance déguisée de quiétude commune aux convoyeurs d’escorte ou agents de patrouille, prête à endiguer un sursaut jaugé en travers. Elle s’était déjà déconfite à découvrir de tels mécanismes lors de menues bourdes et méprises qui ne valurent pas loin d’écoper de rudoiries.
La balade dégringola vers le versant un brin abrité, sans que la docile intruse ne s’immisce trop proche de la géante encline à rectifier chute et autres maladresses, bagatelles qui ne rythmèrent pas cette calme avancée. Le déjà-vu de pareilles circonstances, lorsqu’un autochtone du cap noir -aussi nommé confin anthracite- procéda de la sorte afin de l’écarter d’un logis troglodyte et sa famille, dans un souci de n’exposer quiconque à une plausible éclaireuse ennemie. Soit, ce type d’endroit ne figurait pas inscrit aux rouleaux de l’expédition. Elle apprécia d’ailleurs de n’être point brutalisé, quand bien même l’autre envisageait un véritable interrogatoire, qu’il lui plairait tout autant de conduire avec diligence et force détails. Duplicité et mensonge n’empoisonnèrent jamais ses démarches, l’entorse de maigres exagérations n’y engouffrerait aucune malveillance.
Parvenues au seuil annexe, caverne baignée d’une fine pénombre, l’éprise des orages s’autorisa un instant suspendu, tandis que ses iris discernaient enfin les détails de sa compagne. Elle lui trouvait un aura presque insondable, même départie du voile d’une figure légendaire, sans que la chose ne signifie rien de concret. Sans doute fabulait-elle, avant de pénétrer la quiétude de ce domaine où régnait un silence solennel, révéré. La blonde rendit alors grâce avec un concis murmure, nul besoin d’en émettre d’avantage, puis déchanta de ravissement plus loin, à entrevoir un plafond constellé d’éparse phosphorescence minérale, hospitalière et apaisante, propice à l’accueil des égarés.
Le décor raffiné d’un habitacle fit l’exact effet sur sa limpide frimousse, qui ne souhaitait rien à mesure qu’on sollicitait à prendre repos comme ses aises. Tout juste scrutatrice, abreuvée d’éther quand victuailles et rasade n’happèrent pas ce regard. Enfin assise, le linceul épousseté au préalable le long du vestibule, Alnis l’ôta et déposa à son flanc, près d’une besace moins usée que ses presque haillons, dépourvue du port d’un poignard mais encore d’outre.
_ Enchantée de faire votre connaissance, je me prénomme Alnis. J’imagine que je n’ai pas tellement troublé votre tranquillité, mais auquel cas veuillez bien excuser mon passage par votre territoire. Je ne fais que parcourir le monde, et ne peux m’empêcher de visiter ses moindres recoins, même défendus ou pernicieux, pour ne pas avoir de regrets si jamais je décide de m’établir. L’appel de l’aventure et des rencontres et en outre trop irrésistible, il y a tant de choses à découvrir, d’expérience à vivre et de lieux à arpenter avant de se dire satisfait de la place qu’une société veut bien nous imposer comme carcan. Or, le langage des oiseaux ne permet pas de s’y soustraire, et puis même si l’on vous narre une épopée, n’est-ce pas plus haletant de l’effectuer ? L’excitée se rendit compte du ridicule de la tirade passant pour litanie rébarbative des inconscients plus encore puérils. Oh, pardon, je digresse… et ne vous laisse pas en placer une ! Elle marqua une seconde pause, utile à sortir et montrer une carte approximative des sites explorés jusque là, notifiant dessous, par calque, un réseau de tunnels et autres annotations pratiques très fourni. Le panorama diverge assez depuis chaque sommet, quand leur escalade est toute aussi similaire qu’inédite.
De l'attraction des corps étranges
Comparée aux caprices des éléments externes, l’antre de la primordiale a ce petit quelque chose de rassurant qu’ont les œuvres donnant l’impression aux mortels d’être issues des efforts de leurs pairs. Au fil des ères, nombreux sont ceux ayant visité la grotte en l’absence de leur propriétaire. Ils sont donc aussi nombreux à ne pas se douter une seule seconde que leur refuge temporaire fut façonné par les mêmes caprices les ayant forcés à considérer l’abri, quoique de nature différente. Sous l’apaisant nuancier de lueurs qu’offre le plafond serti de gemmes conçues avec expertise, un secret plus morbide se terre. Certains des réfugiés furent retrouvés par l’architecte dépourvus de souffle vital. Plutôt que de les rendre aux éléments, elle a alors jugé bon de les enterrer sur place, avec autant d’aisance qu’elle n’a généralement que quelques gestes à effectuer, même dépourvue de pelle. Ces emportés, sans sépulture nommée, jonchent de manière éparse les nombreuses caches dont s’enorgueillit Ymir à travers le territoire des clans désunis. En tant que mère attentionnée, la géante tente bien sûr de préserver sa progéniture de la découverte de macchabées. Mais puisque ravitaillement et entretien de ces points de chutes incombent à une partie d’entre eux, cette volonté n’est pas toujours honorée. Si seulement l’élémentaire pouvait se dédoubler.
Outre l’accroissement de sa valeur de travail abattu, elle aurait pu examiner son invitée présente sous plusieurs coutures. A n’en pas douter, les guenilles portées par la fulgurante corroborent son apparence aussi Meridienne que candide. Seulement, tandis qu’elle détaillait la jeune errante, un détail retint l’attention de la géomancienne. Un stigmate ornant son front qui se voulut assez révélateur de sa condition. Un détail inattendu qui l’obnubila au point de n’accorder qu’une demi-oreille aux propos de la vagabonde. Heureusement pour Ymir, ses appendices sylvestres demeurent assez conséquents pour avoir capté l’essentiel des propos fournis d’Alnis. Ce jusqu’au moment ou une carte fut étalée sur la table trônant au centre de la cavité. L’occasion pour un soupçon de silence de s’établir. L’opportunité pour Ymir de prendre place face à son invitée en cessant de la détailler directement.
« Ne ressens pas le besoin de t’excuser. A vrai dire, ce territoire est encore celui des Premiers-Hommes. J’y ai beaucoup de refuges, mais mon propre domaine se situe un peu plus loin et est un peu plus… enrichi, disons. »
Elle fut bien la première à vadrouiller un peu partout avant de s’établir ici. D’ailleurs, même si elle semble en avance sur son homologue Electro, Ymir est curieuse de mesurer les progrès de cette dernière dans son périple. Si bien que les propres observations de la vagabonde finissent par la faire sourire. Puis, ce sourire muera en franche esclaffe.
« Ahahaha ma pauvre, je crains que tu arrives avec beaucoup trop de retard pour t’approprier le meilleur panorama que le coin aies à offrir. Cela dit, ton assiduité à la tâche m’impressionne. D’ailleurs, ces galeries, les as-tu découvertes seules ? Pour tout te dire, j’en ai façonné certaines… mais j’en vois sur ton plan qui devraient normalement être condamnées. Enfin, ce n’est pas important. »
Avouera-elle en se redressant d’un geste brusque, frappant le bois travaillé de ses paumes lors de l’exercice. Cet élan de fougue avait pour but la récupération d’un de ses trésors impersonnels : une collection de sédiments prélevés ça et là dont l’échantillon pertinent serait ici un minerai éminemment propice à l’art de la forge. L’origine de ce matériau précis était justement une des galeries condamnées par la géomancienne, lasse de voir plusieurs tribus s’entretuer pour sa possession. Or, elle ne savait pas trop quoi penser de voir cette même cavité souterraine répertoriée sur le plan de son homologue. Elle désignerait donc l’endroit éveillant sa curiosité d’un de ses habiles.
« Cet endroit, là.. ça fait longtemps que tu l’as découvert ? Je croyais en avoir bouché tous les accès il y a de cela trente, quarante ans peut-être… figure toi qu’on y trouve, ici et nulle part ailleurs, un matériau alliant à la perfection malléabilité et résistance. Avec cela, même un forgeron novice peut être capable de forger des armures d’une résistance hors du commun et ce, sans aucun enchantement de sorcellerie ! Le problème c’est que les tribus alentours ont fini par découvrir la valeur de ce gisement. J’ai donc préféré les rendre inaccessible de mon propre chef avant que des amoncellements de cadavres et de squelettes entremêlés ne fassent cet office. »
Mais finalement, elle allait un peu vite en besogne. S’éclaircira la voix en conséquence, avant de retrouver un empressement moindre que ce dont elle venait de faire montre.
«… On a tout le temps, en vérité. S’ils ne s’entre-tuent pas ici ils le font ailleurs de toute manière, à mon grand regret. As-tu fait bon voyage jusqu’ici, Alnis ? J’ignore d’où tu nous viens, mais que penses-tu du climat et des paysages d’Halogia, au-delà des descriptions que l’on t’a dépeintes avant ton périple ? Tu as pu remarquer que les mortels parviennent à survivre dans des conditions bien inhospitalières pour la vie. En ce qui me.. nous concerne, ces aléas sont sans importance. Cependant, si tu venais à t’établir dans le coin, je pourrais peut-être te fabriquer un petit refuge, un peu comme celui dans lequel on se trouve actuellement. Qu’est-ce que tu en penses ? »
La manœuvre part d’un bon sentiment. Mais Ymir ne se voile pas la face, elle ne partagera jamais sa propre montagne avec nul autre que ses propres ersatz. En revanche, si une de ses sœurs consentait à vivre à proximité relative de la géomancienne, cette dernière consentirait aisément à lui tailler un logement doté d’un luxe relatif, à flanc de montagne. Reste à savoir si l’heure est venue pour cette jeune éthérée fulgurante de se sédentariser. Indépendamment de cette question, cela meublera toujours une fraction de la vie menée par l’apparente Halogienne.
[oratrice]
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[armure de bonne facture]
Elle lut de la joie dans le mérite saluant l’effort d’une artisane, dont la fierté manqua de friser l’orgueil, n’allant pas soupçonner la présomption face à des esgourdes crédules. Alnis s’intriguait plutôt à l’optique de connaître la raison de ces choix, en outre rectifiés preste, selon les repaires clochant. Elle n’avait pas éprouvé de difficulté particulière à emprunter ces galeries éparpillées aux abords des axes privilégiés des indigènes des marches grises ni des points névralgiques de la prospection minière, ne se heurtant à aucune voie close, malgré certains vestiges d’éboulements et autres édifications de rocaille éclatées ou formes révolues de sabotage. Fort peu d’individus daignèrent se confier à ce propos, hélas, n’aiguillant pas d’avantage ses maigres hypothèses.
La discussion ternit l’humeur de la joviale, affectant une mine contrite, penaude, compatissante de la douleur du quotidien cruel, tandis que l’osmose sur leur nature manqua de faire plaisir. La foudrale éluda ainsi les réponses lui tenant à cœur, par le biais d’un silence, n’osant pas dédaigner la gravité de la situation au profit d’un entrain si intime et dérisoire en l’état.
_ J’ai cru comprendre que les natifs de la vallée (au carrefour des deux régions), rapportent des accrochages avec la faune alors obligée de migrer vers votre climat ou fuir à l’est. Je ne peux que supputer l’attrait de la manne minière, au mépris du respect animal comme du principe de coexistence avec ceux qui empêcheraient la soit disante prospérité d’un projet urbain encore nébuleux. Disputer le territoire de taupes géantes et de salamandres n’est pas défendu, si l’entreprise concerne une surface peu étendue ni ne saccage leurs habitats, mais il s’agit d’agissements démesurés actuellement, car ces prospecteurs là négligent les conséquences de leur « contrebande » ; je parlerais plutôt de profanation et de pillage, même si je n’ai pas pu constater de chasse synonyme de massacre. L’absence de dépouilles me laisse à penser que des spécimens de charognards ont pu conduire quelques festins, si toute cette agitation est fondée.
Elle tendit le brouillon à superposer sur sa carte, démontrant trois itinéraires corroborant la chose, la décrétant obtenue auprès d’un supposé survivant d’une campagne infructueuse en lisière du col. Le papelard d’un maraud tenaillé par les remords, durant l’ivresse. Alnis perçut alors tout l’enjeu des magouilles, entre diversion et hypocrisie, afin d’alimenter la résurgence des troubles ethniques, par pur opportunisme sinon perverse stratégie chauvine.
Elle ne partagea rien de ses intuitions, trop incertaine de cerner l’affreuse vérité, déjà si laide et navrante, préférant alors s’en remettre aux experts de la trempe de sa nouvelle amie, plus apte à la délivrer.