Le temps d’un échange, les mots de la matrone de Shamedar s’écoulent dans l’esprit millénaire. Sous la neutralité du faciès d’Ymir, on peut deviner une profonde curiosité quant aux dires de l’hydrique. La démone, déjà cataloguée par son opposée comme fidèle au Père de l’Aube, ne tiens pas les propos attendus par ce filtre. La rocheuse se surprend même à trouver en Farah un profil bien plus nuancé que la plupart des Eiskloster ayant pu croiser sa route. Outre leur opinion similaire quant à la montagne céleste, la bienfaitrice désertique n’a soudain de cesse de faire montre de la compassion présente en son coeur. Les propos tenus sont pour le moins attendus de la bouche d’une guérisseuse officiant dans un milieu inhospitalier. Pourtant, l’Halogienne sent bien qu’un poids demeure pesant sur la conscience de son interlocutrice. Finalement, elle-même se fendra d’un soupir désolé face à l’histoire du brave mendiant dont elle saisit la fierté comme une notion familière. Instinctivement, son poing se ferme, alors que son bras se tends en direction du Lumineux.



L’éclat présent dans le regard de la cornue des neiges semble alors s’assombrir. Se teinter d’une introspection pas vraiment positive. Son tour était venu de se livrer.



En dépit de toute la force suggérée par sa simple apparence, son timbre trahit un dégoût dont elle se fait dépositaire et cible privilégiée.



Tout cela résonnait en son for intérieur comme la seule manière de faire cesser le conflit opposant chevaliers et barbares. Nul doute qu’un tel bouleversement ferait réfléchir tout un chacun sur sa place dans le monde. Et surtout.. les peuples de Nymlerith n’auraient plus comme déité rocheuse que les vestiges de Vulkharn. Une belle manière pour son ermite contemplatrice de laisser son empreinte éternelle sur ce monde. Restait toutefois à recueillir l’avis de sa jeune comparse là-dessus. Leur point de vue différerait probablement car l’une d’elles prenait part activement à ce que l’autre ignorait passivement. Quand bien mêmes toutes deux semblent tomber d’accord sur la fin, qu’en sera-t-il des moyens la justifiant ?



Voilà une contradiction qu’elle pense avoir décelé dans les propos de son associée. Peut-être est elle affectée par la déclaration dont elle vient de s’acquitter ? Ce qui est certain, c’est qu’Ymir fait ici démonstration d’une absence de tact digne des clichés Halogiens.

Une nouvelle fois, les divergences entre leurs vécus résonnent en mésentente. De l’accablement perçu par la rocheuse chez sa comparse hydro, il n’est autre contradiction que la dualité de leurs âmes. Une opposition que la cohabitation et le dialogue auront eu tout le loisir de transformer en complicité. Une notion de partage devenue si banale pour l’élémentaire qui n’en a pourtant qu’effleuré la surface, sans jamais l’intégrer pleinement à sa philosophie. Pas avant que les années ne se soient envolées avec le peu de raison humaine subsistant en son essence. Comme résignée, l’Halogienne se fend d’un nouveau râle, relâchant ses appuis afin de se laisser tomber lourdement dans la poudreuse. Ce manteau si pur qu’elle attends encore de voir devenir son linceul.



Sans expliciter son sous-entendu, Ymir songeait aux dizaines d’homoncules représentant autant de fragments de son âme que d’aspects adoptés par la roche. Au fond, ce que la démone d’eau qualifie de torpeur et de folie chez sa comparse résulte sans doute de cette division exagérée. Vestige d’une époque où la solitude l’effrayait autant que Shabriri, entourée de vies à la longévité moindre qu’une elfe.

Au grand dam de l’élémentaire, sa philosophie semble inapte à imprégner l’âme de sa consœur. A remuer leur doutes, il aurait pourtant été attendu par Ymir qu’une harmonisation de leurs ressentis se concrétise. Leur résignation semble après tout similaire au même titre que leur finalité. Peut-être que l’ironie de la situation réside dans des éléments dont l’hydrique à seule connaissance, contrairement à son homologue de roche. Auront-elles l’occasion d’aborder à nouveau cette perspective ? La couronnée d’obsidienne en est convaincue, soit-ce dans plusieurs décennies. Si l’ange gardien de Shamedar a coupé court a cette conversation, ce n’est pas sans offrir une perspective plus réjouissante. Celle de s’accaparer égoïstement un soupçon de l’art culinaire local. Mue d’une légère surprise, l’élémentaire observe sa camarade, d’abord intriguée par ce clin d’œil complice. Ses traits s’étireront alors en un franc sourire railleur.



Avouera-t-elle en se redressant, dégourdissant de quelques étirements sa physiologie sculptée. La sylvestre au teint hâlée serait alors respectueusement invitée à suivre l’albine qui se trouvait ici en terre connue. De leur crête érodée, l’auberge n’était qu’à quelques enseignes. Outre le baraquement voisin, Ymir mettrait leur route à profit pour présenter les autres échoppes dont peuvent s’enorgueillir leurs propriétaires artisans. Mitoyen à la fortification, un sculpteur maître de son domaine, du temps ou l’arthrite ne l’avait pas encore incapacité. Le verrier voisin se trouvait être de ces familles que la sentinelle du volcan a mené vers la prospérité : la pérennité de cette enseigne est aussi vieille que la négociation entre Lodjur et Feradler dont la silhouette neigeuse s’est faite médiatrice. Enfin, il semble évident que le joaillier établi un peu plus loin voit régulièrement la cornue s’arrêter devant son étal pour contempler la finesse d’œuvres auxquelles Ymir peut se relier.  Si sa clientèle laisse à désirer par rapport aux acheteurs des commerces de première nécessité, le bijoutier est à l’abri du besoin par le simple accès qu’Ymir lui accorda autrefois a l’un des gisements qu’elle cultive de façon pérenne.

L’auberge en vue, la stature de l’Halogienne s’éclipsera alors pour que la beauté des sables n’y entre en première et bénéficie du luxe de choisir la table. Si le sourire rayonnant de Farah leur offrirait tous les hospices, la fille de la terre comptait sur sa familiarité avec l’endroit pour que le tenancier se souvienne de lui réserver le paiement de l’addition. Cette fois, les deux femmes étaient liées par l’importance toute relative des richesses humaines pour leur propre survie. Fidèle à son habitude néanmoins, la figure aux yeux vermeil ferait de la sylvestre son invitée, quoiqu’il advienne par la suite. Le public étant encore dissipé, les deux protectrices auraient tout le loisir de converser à leur guise en attendant que le tenancier ne leur présente son banquet du couchant. Pour l’heure, un doux élixir de raisin leur serait proposé afin d’éveiller leurs papilles. Profitant de n’avoir l’attention de la matrone que pour elle, la philosophe du Feu Éternel montrera une toute autre facette que celle de la brute qui aplatit plus vite que son ombre. Cette réputation à peine exagérée semblait bien incompatible avec la sérénité actuelle de son faciès, dont les yeux vinrent trouver les prunelles cyan de l’elfe en lui adressant un rictus captivé



S’amusera-elle avant de trinquer avec sa comparse, portant le liquide fruité à ses lèvres pour s’en rafraîchir.

A mesure que le liquide bordeaux s’écoule dans son gosier, on peut deviner que le calme s’installe dans l’esprit de l’élémentaire. Elle vient si régulièrement dans ce domaine que ses commerces n’ont a ses yeux rien de nouveau. Cette auberge fut justement le lieu d’une de ses nuitées pas plus tard que le mois dernier. Malgré toute l’accoutumance de la cornue, cette soirée se détache de ses habitudes. Avoir la matrone de Shamedar a sa table, en quelque sorte la monopoliser, est un privilège que bien des êtres du désert voudraient obtenir quelque soit le prix à payer. Les considérations de leur raison d’être écartées, les deux immortelles auraient tout le loisir de partager une soirée loin de leurs obligations respectives. C’est donc attentivement que l’Halogienne s’imprègne des dires de la démone décidément encline à conserver intact le flou que lui prête son hôte. L’invitation a peine dissimulée fera naître un rictus sur les lèvres de la géomancienne qui s’efforce de rester concentrée sur les deux joyaux d’aigue-marine lui faisant face. Oui, même la plus épaisse des brutes peut définitivement voir ce qui captive autant les mortels dans les manières de son invitée. Ses sourires ont ce petit éclat envoûtant qui allume si facilement les braises de l’acceptation dans les cœurs la recherchant.



Souffle la couronnée d’obsidienne happée par la vision de l'azur.



Alors que l’albine fait cette confidence, son regard trouve par instinct la direction du fourneau où un tapis de braises échauffe la carcasse d’un dodu herbivore fraîchement chassé. Tout fier qu’il est de sa façon d’accommoder un gibier si répandu dans la contrée, l’aubergiste laisse le fumet de sa spécialité se répandre dans la salle généralement boudée au profit de son comptoir. La rusticité du spectacle ne trompe pas les habitués : toutes sortes de chair étaient passées au flambeau et au tranchoir, soient-elles issues de vénerie ou de pêche.



A son tour, l’élémentaire adresse un sourire à son invitée. Le gérant de leur nid d’un soir, un Premier-Homme en pleine force de l’âge avec des traits animaux tout ce qu’il y a de plus bovin, ne les dérangera qu’un bref instant après avoir remarqué que la plus laiteuse du binôme furetait en sa direction. Elle qui n’était pas humaine voyait pourtant l’appétit la gagner. Une disette de relation que la compagnie de l’hydrique risque fort d’étancher.