Le temps faisait son office, chaque grain s'écoulant immuablement le long des dunes balayées par le vent tantôt ardent, tantôt glacé de Qalish. Ce jour-ci, la météo était grâcieuse pour son peuple alors que la soirée approchait, que l'astre solaire courait derrière l'horizon pour chasser sa sœur qui sortirait de sa cachette dans son dos.

Sous les derniers rayons lumineux, un bien chagriné garçon décida de faire parler l'art au milieu d'une ruelle qu'il trouvait bien fade. Il commença par faire s'élever quelques tête en de simples pas de danse agiles et fastes, passant d'une étale à une autre pour rassurer les marchands attristés comme heureux d'avoir pour les uns passé la journée debout à s'époumoner et pour les autres à s'enrichir.

Assez naturellement dans l'atmosphère de l'oasis, des musiciens commenceront à se joindre à la représentation sans que personne ne leur ait demandé, les habitués reconnaitront parfois des têtes, ceux qui animaient les maisons closes proches, un joueur de cymbale se révéla être le guichetier du théâtre le plus proche et il n'y avait rien de plus ravissant pour l'espion déguisé qu'une telle improvisation.

Alors sa danse se mua à mesure que la lumière diminuait, il avait déjà rassuré les âmes riches de son corps mis à nu, seulement habillé d'un saroual noir à quelques dorures, balayant l'air de tissus transparents aussi rouges que ses yeux et dissimulant à jamais son sourire sous un voile qui volait sous ses pirouettes.

Les trop fatigués, les plus vieux et les courageux musiciens restèrent encore, et dans l'intimité du petit comité, le danseur se mit à chanter. Ses paroles restèrent douces pour accompagner les esprits approchant du sommeil alors qu'il commença à conter le récit d'une histoire d'amour impossible.



Enfin, sa prestation achevée, le musicien vint galoper jusqu'à la place centrale de l'allée où il se montrait, sa poitrine se soulevait et s'affaissait frénétiquement alors qu'il montrait des signes de fatigue et d'essoufflement, ne sachant même pas lui même depuis combien de temps il faisait ça. Il prit le temps d'admirer ses spectateurs, de s'imprégner de leur présence et de leurs félicitations, fussent-elles peu nombreuses.

Il ne comptait pas lorsqu'il laissait parler l'art à travers lui, et difficile de ne pas remarquer un elfe à une telle allure, quoi que dans la cité hétéroclite, il aurait bien pu se fondre à travers les extravagants comme étant un de plus, et personne n'aurait jamais su que derrière cette paire d'yeux rubis, se dissimulait un proche allié de la dynastie Hasis.

Chacun de ses pas semblait si lourd, dans le sable du désert...

Dans le grand manteau blanc, ressemblant en réalité plus à un drap qu'il aurait enroulé au dessus de ses épaules, Darui traversait le désert. En dehors d'un hakama blanc et de babouches, il était nu. Il n'avait pas la moindre arme, et ne s'en souciait guère. Il avançait, les bras sur le côté du corps, dissimulés par son chasuble et la tête cachée par la grande capuche retombant entre ses yeux. Il savait qu'il aurait dû s'arrêter de marcher à la levée du soleil et se reposer, mais il n'avait pas envie de perdre son temps. Alors il avait continué, ses pas s'enchaînant mécaniquement, sans que la moindre pensée ne se forme.

Ces moments hors du temps, hors de toute humanité, rythmaient sa vie. Il était tellement plus simple de ne pas penser. D'être un fantôme traversant ce monde pour accomplir ta mission. Cela faisait bien longtemps que les cris de son corps ne lui parvenaient plus, et il savait que le moment où il s'arrêterait, ce dernier se rappellerait à lui de la pire des manières. La douleur ne l'avait jamais empêché d'agir en cas de besoin, mais il savait qu'il avait besoin de s'accorder du repos, s'il ne voulait pas que cela empire dans les jours à venir. Alors, enfin, il redressa la tête, et avisa l'oasis au loin.

Ce genre d'oasis n'était pas si rare, il suffisait de marcher assez longtemps pour finir par en trouver une, mais il pouvait s'estimer chanceux, d'arriver à la plus grande d'entre elles. Le soleil ne tarderait pas à se coucher, et même son corps finirait par céder, après une journée de marche dans le désert sans rien avaler. Doucement, en sachant ce qui l'attendait, il rouvrit sa conscience à la voix de son corps, et observa son propre état.

Ses pas étaient lents, plus trainants qu'à leur habitude, ses bras étaient presque ballants sans qu'il parvienne à les relever sans effort conscient... Même son thorax était douloureux, brisé par la déshydratation et la répétition des mouvements. Il s'autorise un soupir, que personne n'entendra, et se concentre sur son objectif, poursuivant sa marche en silence.

Enfin, il se glisse dans l'ombre d'un bâtiment alors que le ciel s'orne d'ocre. La voix qui lui parvient, à travers le voile de ses douleurs, l'apaise autant qu'elle l'énerve. Son regard remonte sur l'individu qui vient se mettre au centre de la place, et il l'observe en silence, reprenant son souffle en harnachant de nouveau sa douleur. Ce corps pouvait être celui d'un danseur, comme celui d'un combattant. Le pire genre de combattants. Ceux qui lui ressemblaient. Vifs, malins... mais capables d'être forts.

Peu importait. Il n'était pas là pour se battre. Pas cette fois. Et puis, il ne ressentait pas d'yeux, ici, aucune raison de se battre. Il allait profiter de cette oasis pour se reposer avant de reprendre son voyage.

De sa démarche usée, il avance à nouveau, et se débarasse de sa capuche. D'une voix rendue rocailleuse par la soif, il interpelle le chanteur, alors que chacun quittait peu à peu l'esplanade.

"Eh... Où est ce qu'on peut dormir, ici ?"

Interpellé, le regard du danseur eut été happé par la silhouette toute endolorie, une grimace d'empathie venant saisir le visage du jeune elfe témoigna sans doute du triste spectacle que l'étranger donnait à travers sa posture et les traits de sa trogne le faisant ressembler à un raisin sec.. Ou à des pruneaux, c'est moche les pruneaux.

A cela, l'enfant de l'Arbre Gardien tourna la tête à droite puis à gauche, cherchant tout autour de lui une outre d'eau, un verre ou bien quelques chose de comparable. Son dévolu se jettera sur un verre encore plein d'eau abandonné sur une table à trois pieds toute faite de planches importées de Méridia, sans doute même que l'étale à proximité était aussi tenue par un marchand de là-bas. Il aurait bien fallu quelques enjambées pour l'atteindre depuis la position du danseur, centrale à l'allée.

Il s'abaissa ensuite de quoi saisir sur un petit tapis posé là les quelques monnaies nécessaires à dédommager le vol qui allait s'en suivre et se surpris de voir d'ailleurs que son audience n'avait pas été très généreuse aujourd'hui, tant pis, pensa-t-il.

La suite se déroula en une seconde à peine, une pression du pied de notre fabuleux danseur le fit se propulser vers le verre, et dans la fraction de seconde nécessaire à toute personne assez douée pour le voir, on vit les prunelles écarlates de l'enfant se tourner vers le voyageur desséché avant qu'un nouveau pas ne soit produit.

Encore une fois, aussi vif que le vent, il n'aurait pas fallu cligner des yeux par peur de le voir disparaitre, l'elfe réapparu d'un seul coup face à l'inconnu, lui tendant le verre qui n'avait pas même débordé d'une goutte, alors que la simple approche du garçon généra une bourrasque de vent équivalente à la vitesse absurde qu'il avait atteinte en un pas seulement.

Cela ne surpris étrangement personne autour d'eux. Peut-être que personne ne l'avait vraiment remarqué ? La vitesse du garçon avait tout l'air d'être tout bonnement surnaturelle, nul part pourrait-on penser voir qui que ce soit se déplacer aussi vite.

Il était aussi très facile d'imaginer que le garçon frimait tout particulièrement de ses aptitudes, à voir comment il essayait de cacher son essoufflement qui en deux pas à peine venait de s'intensifier autant qu'après ses heures passées à danser.


Il n'arriva pas bien à dire plus sans montrer qu'il était à bout de souffle, alors, la bouche du garçon s'articula en une petite moue inquiète, ses lèvres coulant dans une vague à voir le garçon ainsi demander des choses aussi simples alors que d'autres besoins devaient passer en priorité. Il reprit après plusieurs inspirations :

Son corps était anesthésié par la fatigue, assommé.

Son esprit, lui, ne se détachait pas des mouvements du jeune homme. Deux pas. Des pas puissants, et surtout, avec une accélération impressionnante. Il pouvait atteindre cette vitesse, peut-être même aller plus vite, mais il lui fallait de l'élan. Peut être... cinq, ou six pas de plus ? Et sa façon de s'accaparer le tapis et le verre, sans faire claquer le premier et sans renverser le second... Il fallait plus que du talent pour cela. Mais son essouflement soudain était surprenant.

La sueur recouvrait déjà partiellement son corps, quand il l'avait interpellé, mais il ne semblait pas avoir de mal à respirer. Il l'avait entendu chanter, mais à en juger par sa tenue toute en voiles et amplitude, c'était sans doute aussi un danseur. Ceux de cette région aimaient mettre en avant les tissus qui rendaient leurs mouvements plus fluides, presque liquides... Depuis combien de temps dansait-il, avant que Darui n'arrive ? Et, une autre question, si c'était simplement une question de fatigue, ou si c'était le mouvement trop brusque qui avait causé cet essouflement. Il avait déjà vu ça, auparavant... Un corps entrainé et capable, mais qu'une blessure rendait peu endurant.

Il se maudissait d'être si épuisé. S'il avait pu avoir la pleine possession de ses moyens, il aurait tiré plus d'informations de ces mouvements... Sa main tremblait alors qu'il la tendit vers le verre d'eau, et il but en silence. L'eau dans sa gorge lui semblait être de l'acide, mais peu importait. Il ferma les yeux, et finit son verre, avant d'hocher la tête en remerciement.

"De la compagnie... Hmpf... Je ne doute pas de sa qualité, mais ce n'est pas vraiment mon genre de choses... Non, je cherche un lit... un repas, peut être, mais rien de plus."

Ses forces sont loin de revenir, mais il se tient déjà un peu plus droit. Sa posture corrigée, ayant sorti l'un de ses brabs pour boire, il est aisé de voir qu'il n'est pas un voyageur ordinaire. Et, inconscient de s'être ainsi révélé et de ne pas pouvoir pousser l'avantage d'être un simple voyageur épuisé, il pose à nouveau son regard autour de lui.

Oui, cela ne pouvait être que Shamedar. Il était à mi-chemin... Et il allait lui falloir s'arrêter pour... deux ou trois jours ? Peut être plus. Il était difficile de dire à quel point ses muscles étaient meurtris. Il ne s'était jamais senti aussi fatigué... La déshydratation était une chose, l'épuisement une autre, et l'étrange soulagement euphorique qu'il ressentait à s'être brulé la gorge avec de l'eau n'aidait pas. Cela lui servirait de leçon : même le Père du Sommeil risquait sa vie, dans le désert.

"Je suis Yaslan... Je viens de Kuro. Désolé, je n'ai pas pensé à me présenter... Vous êtes d'ici ? A vrai dire, je suis un peu perdu..."

Il resta là à l'observer, à l'écouter parler de cette voix affaiblie qui fort heureusement reprenait un peu de sa vigueur. Une grande question lui taraudait l'esprit cependant, à se demander qui aurait bien pu s'attirer les foudres de ce si célèbre visage pourtant à deux doigts de se transformer en confiture de son propre chef. Aurait-il été si mal préparé au désert ? A ce point ? Lui ?!

C'était un peu triste pour le garçon aux prunelles rouges, il aurait préféré le rencontrer sous sa véritable allure, avoir un regard d'une idole et de la reconnaissance et dans des circonstances épiques ou au moins agréables.

Au lieu de ça, le célèbre Père du sommeil était là, et il ne manquait plus que du vomis, de la bile et d'autres rimes nettement moins florales. Et l'espion lui même était au bout de sa journée, suant par endroits, alors que la fragrance de son parfum aux notes d'abricot coulant dans une douceur sucrée diminuait et qu'il appelait du fond de son âme un bain brulant où s'immerger.



Malgré tous ses songes intérieur, le danseur ne perdait pas sa mimique joviale, son sourire large et tout cela s'amplifiait à mesure que son souffle lui revenait. Il ajouta ensuite en se présentant plus convenablement :


En attendant ses réponses, il vint se positionner à ses côtés, proposa son bras plié comme une invitation à l'aider à marcher en direction du bâtiment qu'il choisirait où dormir, bien qu'à l'allure du gourgandin, aurait pu croire à un autre type de proposition. En plus de cela, le danseur n'avait qu'assez peu à faire qu'il ne porte pas de faux nom lors de ses escapades déguisées, et puis qu'importe qu'on fasse le lien entre Gwendolin le danseur qui s'amusait de son temps libre et Gwendolin, le nouveau proche allié de la dynastie Hasis.

Son regard ne s'attarde pas longtemps sur lui, et la déception marque un court instant son regard.

De là, deux possibilités... Ou bien ce Gwendolin était un gigolo qui cherchait un client et se retrouvait déçu, ou bien il l'avait reconnu. Cela arrivait bien trop souvent à son goût. Etre le père du sommeil lui permettait de se passer de beaucoup de formalités, et d'éviter des combats ennuyeux, mais c'était aussi un fléau. Parfois, il aurait aimé être Yaslan. Un voyageur oisif qui errait simplement, sans avoir de compte à rendre, ou même d'endroit où aller. Un quidam. Je lui manquais, dans ces délicieuses errances, et c'était peut être la raison pour laquelle il abandonnait sa conscience dès lors qu'il marchait d'un endroit à l'autre du monde.

Il accepte le bras de l'homme, et marche à ses côtés. Il observe les bâtiments avec un air peu amène, curieux mais aussi dépité. La plupart de ces bâtiments sont des tripots, comme ceux qui l'ont vu naître. Peut être que l'emphase y est plus mise sur la danse et les arts sensuels, mais il n'a envie de rien de tout cela, en cet instant. Pourtant, il finit par tousser doucement, et se redresser encore, avant de prendre la parole d'une voix sourde.

"J'y ai parfois chassé. L'un des premiers... amis que je me suis fait hors de Kuro en provenait. Un homme cruel et dont j'ai été fort heureux de ne plus avoir à supporter le mépris... Mais j'ai appris que tous les elfes n'étaient pas ainsi. Et, puisque tu m'as aidé, et que tu es aussi dans un sale état, tu es mon invité ce soir... "

Sans rien ajouter, il se dirige vers le plus fastueux des bâtiments, l'elfe toujours à son bras.

"Explique leur que je ne veux pas de compagnie. Mais je veux discuter avec toi."

La compagnie de l'elfe presque haut de deux mètres se fit en subissant de nombreux regards en coin de sa part, et la marche le rendit un poil plus silencieux alors qu'il mesurait la présence de chaque visage autour d'eux, se demandant si autant de rumeurs pouvaient naître sur l'un comme sur l'autre. Il aurait été dramatique que Gwendolin soit à l'origine d'un récit charnel à propos d'eux deux.



Le garçon viendra hocher ensuite à la directive reçue, il viendra cependant tirer le bras du maître assassin à quelques bâtiments de distance du premier choisi, un autre établissement qui ne semblait pas vraiment correspondre aux attentes du Père du Sommeil.



A ces derniers mots, Gwendolin vint tirer d'une faible force le Père du Sommeil à l'intérieur de la bâtisse, un.. cabaret ? C'était un cabaret où les banderoles, étoffes et peintures se cumulaient dans une débauche de moyens difficile à concurrencer. Les deux hommes passèrent si vite dans la partie consacrée aux arts du corps, de la danse et du chant qu'ils n'eurent pas réellement le temps d'admirer l'ensemble, si ce n'est de noter qu'une impressionnante composition hétéroclite des races et origines la caractérisait.

Leurs pérégrinations les fit arriver dans une autre aile du bâtiment, laissée invisible depuis l'extérieur, ici, presque personne de présent, quelques curieux trainent des pieds avec des livres pleins les bras et des lunettes au nez.

L'elfe s'arrêta face à un mur à l'apparence tout à fait normale, présentant simplement des séries de symboles décoratifs ou d'un langage quelconque à la surface de la pierre. Un petit doigt articula en différentes pressions la série de signes suivante :



A ce geste du doigt, le mur se divisa en deux, des pans de pierre se déplaçant pour révéler un passage secret innocemment placé là. En s'engouffrant dans un nouveau couloir : personne. Seulement différentes portes supplémentaires donnant sur des chambres luxueuses.

C'est dans l'une d'elle que Gwendolin dirigea le Père du Sommeil où l'on trouvera tout le nécessaire à une nuit confortable et loin des regards. Une table ovale où attendait un plateau de fruit donnait la place nécessaire à disposer différents utilitaires de travail, un lit de taille démesurée attendait en coin et à l'opposé on pouvait apercevoir un cercle de coussins moelleux où se jeter pour profiter d'un espace social lorsqu'on invitait qui que ce soit.

Comme prévu, c'est l'elfe qui se dégonfle en premier.

Il l'emmène rapidement vers un autre bâtiment, et Darui entre sans se poser de question. Dans son état, pourtant, il a tout à craindre d'un piège, et ne pourrait probablement même pas vraiment se défendre... Mais il a le sentiment que, pour cette fois au moins, il peut faire confiance à son hôte. Il le suit à travers les riches salles ornées de tentures, parfumées presque jusqu'à l'écoeurement, mais, paresseusement, indolement, son regard parcourt les différentes pièces. Il cherche les itinéraires de sortie, tout ce qui peut servir d'arme, à graver chaque visage dans son crâne, mais aussi à identifier, parmi les clients comme les danseurs, qui pourrait être entrainé au combat.

La nouvelle aile qu'il lui fait visiter est plus rassurante... Moins de gens, et ceux qu'il croise sont, à n'en pas douter, des faibles. Peut être des sorciers, mais il ne détecte pas d'yeux divins ici, et il sait qu'un seul de ses coups tuerait chacun des gratte-papier qu'il croise... Hormis, sans doute, ce Gwendolin. Qui est il, pour l'emmener ainsi dans cet endroit reculé, caché derrière un cabaret des plus classiques ? L'ombre fait du bien à son corps épuisé, et même s'il se sent toujours terriblement affaibli, et certainement pas prêt à reprendre ses errances dans le désert, il pense pouvoir se défendre...

Alors il l'observe, alors qu'il appuie sur une série de symboles -qu'il mémorise bien évidemment- avant de se glisser dans la pièce nouvellement ouverte. L'elfe est bien trop fin pour représenter un danger direct. Ses coups ne parviendrait sans doute pas à lui faire de mal, mais les elfes étaient des créatures retorses. Il trouverait certainement le moyen de contrer ses coups, comme d'autres l'avaient fait avant lui. Il n'y avait que deux solutions contre ce genre de créatures : les prendre de vitesse, ou les écraser avec assez de forces pour qu'elles soient incapables de la mettre entièrement à leur service, et que le restant les mette hors d'état de nuire. Ca, ou ruser. Quel ennui.

Il observe la pièce un moment, avant de venir s'asseoir à la table, sans trahir la moindre émotion, mais en récupérant une poignée de dattes qu'il commence à manger en réfléchissant avant de reprendre la parole.

"Absolument tout, n'est ce pas...? Ma présence ici n'est pas seulement due à ta générosité, ou à celle de ton prince. Tu m'as reconnu, n'est ce pas ? Pourtant, tu sais que je ne me déplace jamais sans raison valable. Bien souvent, cette raison est de mauvais augure, et pourtant, tu m'ouvres les portes d'un tel endroit, que je n'aurais probablement jamais trouvé seul, alors que je viens peut être assassiner un de vos précieux princes ? Ou bien tu es un traître, ou bien tu as pensé à quelque chose d'autre...

Tu m'a saidé, alors je ne te mentirai pas. Pose moi tes questions. Mais sache avant tout que j'aimerais faire mes ablutions, pendant que nous parlons. On dit parfois que je ne vaux guère mieux qu'un animal, mais je tiens à une certaine hygiène..."

Si ce ne sont des soldats de la dynastie Hasis ou de l'Oasis, aucun combattant ne semble se dénombrer dans les différentes recherches du Père du Sommeil, faut-il croire qu'il vient de mettre les pieds dans un endroit dédié aux arts et la guerre n'en faisait pas partie. Aucun œil divin ne traine à la taille de personne et aucun invité de marque ne semble occuper une quelconque chambre pour l'heure, sans doute ont-ils profité d'un horaire parfait pour s'infiltrer.

L'elfe alla ensuite récupérer un pichet rempli d'un vin encore frais, en servi un verre unique qu'il apporta à deux mains à l'invité, pour cette fois sustenter non pas sa soif, mais son confort. Le jus se prouvera être de bonne facture et en équilibre avec le reste du décors hors de portée de tous ces pauvres dégoutants.

Il répondit ensuite, joignant ses deux mains à plat contre son propre ventre découvert, liant chacun de ses doigts aux autres pour couvrir son nombril.



Il hochera ensuite pour réaffirmer l'évident, il aurait été difficile pour quelqu'un d'un poil informé de ne pas reconnaître un visage aussi célèbre, que cela soit à travers les légendes de ses victimes, de ses faits ou de ses origines, et le maître espion n'aurait jamais pu passer outre de telles informations.



Une main se dégagea ensuite pour balayer l'air dans un geste usuellement signe d'approbation, sans doute qu'il lui accordait toute la liberté de réaliser ses ablutions, zieutant en conséquence vers le coin de la chambre où un petit coin d'eau occupe un renfoncement dans la structure de pierre.

Tout en l'écoutant, Darui commence par prendre en bouche une gorgée de vin.

Par respect pour son hôte, il joue le jeu, et goûte comme on lui a appris, prenant son temps pour essayer de décortiquer les différentes saveurs, mais il n'a jamais compris ce passe-temps étrange. Les boissons servent à se désaltérer, à regagner des forces, ou à s'enivrer. Prétendre autre chose, c'est simplement se leurrer et oublier que l'on n'est qu'un ivrogne comme les autres. Mais qu'il le veuille ou non, c'est ainsi qu'il faut effectivement se comporter en société. Alors, en digne porteur du nom de Sosuke, il se tait et fait ce qu'on attend de lui.

L'elfe est une personne intéressante. Il se croit capable d'interférer, et il n'a pourtant pas l'air d'être spécialement narcissique ou idiot... Il doit avoir des cartes dans sa manche, outre son style de combat. Son équipement habituel ? Un combattant digne de ce nom, surtout qui a aiguisé à ce point ses sens et son corps, n'a pas besoin de ses armes. A moins que la notion d'armes soit différente, pour eux deux. La première pensée qui lui vient est celle de poisons. A sa façon de présenter le vin, il est habitué à jouer les domestiques, et c'est le rôle que jouent le plus souvent les espions et domestiques...

Mais il ne croit pas avoir de raisons de se méfier. S'il voulait l'empoisonner, ce serait déjà fait, et ils ont tous les deux bien mieux à faire. Gwendolin n'a pas tort, il est effectivement en mission. Mais il semble avoir une réelle admiration pour Darui, et on ne tue pas son modèle par simple précaution. Et quant à son inquiétude, Gwendolin doit déjà s'en douter...

Après avoir fini son verre, il le dépose sur la table, avant de jeter sa cape à même le sol, retirant ses chaussures en s'aidant de l'autre pied, puis, très vite, en se débarassant de son hakama et en le laissant sur place. Son corps est musclé, certes, mais un esthète comme Gwendolin pourra percevoir ce qui échapperait aux autres combattants, et constitue l'un des secrets de sa force : Darui est versatile. Sa musculature est équilibrée, si bien que même ses muscles les plus puissants ne gênent pas sa mobilité, et alors qu'il pénètre dans l'eau, sans la moindre hésitation, pour finir par s'allonger à demi, posant l'arrière de la tête sur le rebord du plan d'eau, yeux fermés et enfin détendu, il est aisé d'imaginer la quantité d'entrainement qu'il a dû subir pour atteindre ce niveau.

"Un garçon... Les elfes sont vraiment des créatures à part, n'est ce pas ? Tutoie-moi, quoi qu'il en soit, je déteste les ronds de jambe...

Ne t'en fais pas, je ne suis pas là pour ton prince, ou un quelconque autre de tes nobles. Que je le souhaite ou non. Si je le pouvais, je traquerais chaque oeil de ce monde pour m'en débarasser... Mais en portant le nom de Sosuke, je dois accepter que la diplomatie passe avant ma volonté propre. Parfois, je maudis cette laisse que j'ai passée autour de mon cou... Mais c'est ainsi.

Ma cible est un chef d'une quelconque troupe de brigands du Nord Ouest du Désert. Je me rends au Rassemblement pour avoir les informations qu'il me manque, puis je m'occuperai de lui, de ses troupes si elles n'ont pas la sagesse de me laisser partir, et je rentrerai chez les Sosuke."

Il rouvre les yeux, et, sans bouger, vient les fixer sur Gwendolin.

"Quant au fait de me déguiser... Ce n'est pas idiot. J'essaie, parfois, comme aujourd'hui, de prétendre être... Quelqu'un d'autre que Darui. Mais cela semble être peine perdue. Je suis bien trop connu pour cela, et, franchement, je suis le premier à le regretter..."

L'elfe s'installera sur le sol près d'un lot de coussins de son côté, son regard ne penchera jamais de manière trop prononcée vers le Père du Sommeil se déshabillant, il n'était clairement pas son genre de cibles, et la tendresse d'une nuit auprès d'un assassin avait autant de raisons d'éveiller ses fantasmes que ses plus grandes craintes, même sans œil divin, c'était un coup à ne pas se réveiller le lendemain.

Alors il adopta une position unique, pensait-il qu'elle appartenait à la culture du pays d'origine de l'homme qu'il accueillait dans cette chambre mais n'en avait pas la certitude, de sorte à se situer sur la gauche du visage de Darui s'il venait à le chercher du regard, et ainsi assit sur les genoux, son fessier frappant ses talons dans une allure droite.

Ses prunelles rubis contemplaient le mur face à lui de sorte à ce que jamais ni son visage ni ses yeux ne croisent le Père du Sommeil, détaillant par moment le travail apporté sur une œuvre accrochée au mur, le tableau d'une vague de sable stylisée, quelque chose d'incertain dans l'ère actuelle de l'art où les portraits dominaient encore et même l'espion ne savait pas quel fou aurait pu donner au désert la forme d'un océan jaune, c'était vulgaire.

Sa voix portait dans la direction opposée et il ne parlait généralement pas bien haut, cependant, dans le silence pur de la demeure fabriquée par le prince, elle suffisait bien assez.



Le garçon fixait toujours face à lui et loin du Sosuke, levant une main à une de ses mèches de cheveux pour la frotter sévèrement entre le pouce et le flanc de l'index, sous la chaleur de la friction, le blond ainsi teint commença à virer au blanc pur, tâchant par la même les dactyles de l'elfe et cela seulement pour illustrer ses propos à suivre :

La description que Gwendolin fait de sa cible pourrait effectivement lui ressembler.

En temps normal, il n'aurait aucune envie de confirmer ou non les allégations de l'assassin à ses côtés... Pourtant, qui d'autre qu'un assassin pouvait être digne de confiance ? Le Père du Sommeil se sentait étrangement à sa place, en cette terre désolée. On lui avait parfois dit que c'était de cette région que nos pères venaient. Il n'en avait jamais été sur, et cela ne lui avait jamais vraiment importé, à vrai dire. Pourtant, maintenant qu'il était ici, il pouvait ressentir que, si Kuro n'avait pas été son foyer par défaut, il aurait probablement choisi de s'installer ici.

Il referma les yeux paresseusement en écoutant son interlocuteur discuter théâtre, maquillage, teintures et autres fioritures. Il rouvrit un oeil pour le voir disperser sa teinture, avant de le refermer à nouveau. S'approprier l'essence et les drames d'autrui... Quelle idée absurde. Pourquoi courir après, et chercher à comprendre, la souffrance des autres ? Chacun portait son fardeau. Le sien n'était peut être pas le plus lourd, mais il l'était déjà trop pour qu'il s'intéresse à celui des autres...

"Je crois que je serais meilleur conteur qu'acteur... J'ai vu se jouer bien des tragédies, certaines que je n'ai pas comprises, et d'autres dans lesquelles je suis plongé depuis que j'ai commencé ma traque... Peut être que je t'en parlerai, si cela t'intéresse... mais avant, je veux des informations... Je veux savoir tout ce que tu sais sur Eren Ulankhan. A t'entendre en parler, ce n'est pas un ami à toi, et tu serais peut être même content que je t'en débarasse... Alors je t'écoute. Tout ce que tu sais sur ses capacités, ses pouvoirs, ou ses alliés... Tout est bon à prendre."

Doucement, il se redresse, et sort de l'eau. Il ne se sèche pas, ni même n'essaie de se dissimuler. La pudeur n'a jamais fait partie de sa vie, et cela ne commence certainement pas parce qu'il se trouve dans une cachette princière... Avec un soupir, il vient se coucher sur le lit de la chambre, croisant les mains derrière sa tête, pour écouter ce qu'on va lui dire. C'est une opportunité surprenante, mais n'est ce pas le propre d'un assassin, que de savoir se saisir de tout ce qui lui est utile ?

Il se redressa lui aussi à son tour et fit demi-tour sur lui-même pour faire face à la porte, évidemment que ses yeux auront balayé le corps dénudé du Père du Sommeil, l'elfe était quand même pernicieux derrière son petit air sympathique. Et il n'aurait pas pu faire autrement qu'imprimer le grand être dans ses rétines puis dans sa mémoire, rien que pour emporter avec lui le secret plus rare de sa nudité.

Il commença à expliquer simplement en formant quelques pas vers la sortie, considérant qu'il n'avait plus rien à faire ici.



Il vint alors pencher la tête de gauche à droite, soupesant une idée lui venant, la trahison était évidemment hors de propos, mais concéder un peu de terrain pouvait ultimement le servir lui et son maître. Alors il ajouta :



Il ne partit pas comme un voleur et laissa évidemment au Père du Sommeil le temps de répondre, peut-être même de le faire changer d'avis sur son départ proche. L'espion, seulement, ressentait un besoin fort d'aller informer son prince de la présence de l'assassin célèbre.

Le voilà qui prenait la fuite...

Le refus initial ne le surprit pas. L'elfe semblait avoir maille à partir avec l'homme-bête qui tentait d'imposer sa loi au Nord, mais il ne laissait pas cela entraîner sa mission. Après tout, si lui même n'avait pas essayé de tuer l'impudent, c'était sans doute qu'il était, au moins temporairement, protégé par le prince Qalishi. Et non seulement il avait soudain décidé d'être inutile et frustrant, mais en plus il avait l'audace d'exiger l'oeil divin. Décidément, c'était devenu une obsession pour beaucoup. Et aucun de ces gens ne se souciait de ce qu'il faisait pour se les approprier en premier lieu.

On l'avait traité de monstre, souvent. A sa façon de se baigner dans le sang de ses victimes, bien involontairement, mais dans le souhait d'offrir à sa bien-aimée la libération de ce cruel destin qui prenait tout un monde en otage. Prêter ses poings à des causes ne le dérangeait pas spécialement, tant que l'on ne l'empêchait pas de faire ce qu'il avait comme mission. Mais cette hypocrisie et cette façon de se cacher dans son ombre commençait à l'énerver. Si tous ces gens voulaient s'approprier des yeux, s'ils voulaient à tout prix obtenir le pouvoir qu'il leur accordait, ils n'avaient qu'à le faire eux-mêmes.

En silence, il se redressa, posant un coude sur son genou relevé en observant la silhouette de Gwendolin alors qu'il quittait la pièce. Le poids de son regard, et le changement drastique d'ambiance, alors qu'il se préparait presque d'ores et déjà à se battre, suffit à le faire s'arrêter sur place.

"Ne contreviens pas aux ordres de ton maître, assassin... Mais si tu veux un oeil, il me faut quelque chose en retour. Je suis peut être une arme, mais ce n'est pas pas parce que ton petit prince m'offre le gîte que je vais accepter de le servir. Si tu n'es pas capable de m'expliquer ce que tu ferais de cet oeil, ou pourquoi tu souhaites te procurer un oeil hydro ou cryo, ne t'attends pas à me revoir...

Alors je t'en prie, reviens, et assieds-toi. Tu n'as pas à courir rendre compte, sauf si ton but est de me trahir... Ce n'est pas le cas, n'est ce pas, Gwendolin ?"

La façon dont ses mots se découpait avait changé. Sa parole était plus lente, et son ton plus nuancé. Sa voix était légèrement plus grave, et trainaît légèrement derrière lui. Quelqu'un de la tempe de Gwendolin pouvait aussi s'être rendu compte que sa respiration avait ralenti, et que les mouvements de l'homme dans son dos étaient devenus beaucoup plus fins, presque indétectables. Dans leur langage, c'était une menace évidente. Et s'il espérait peut être que l'homme ne serait pas idiot au point de se battre, entièrement nu, dans une cache prêtée par le prince lui-même, il se trompait.

Darui n'était peut être qu'un fils adoptif, mais il savait qu'il était bien trop important pour la politique Kuroïte pour risquer de mourir ici.

Gwendolin posa un dernier pas qui le fit s'arrêter face à la sortie. Une inspiration fit s'élever sa poitrine sous la menace qui lui fut proférée, un calme plat s'installait alors dans la chambre, offrant un temps de réflexion. Sa tête pivota finalement dans la direction du Père du Sommeil...

Ses yeux rubis vinrent l'agresser de son simple regard, les traits de son visage légèrement froncés laissaient présager de son agacement. Mais ces deux billes rouges portaient autre chose en leur sein. C'était clair, ou bien l'espion se sentait beaucoup trop vaniteux face à l'apparition du Père du Sommeil, et ses lèvres rêvaient de prononcer quelques mots dans le style de « Mais c'est qui ce bouffon ? » ; ou bien, était-il convaincu d'une ferme croyance qu'il avait toutes les capacités de défaire l'assassin qui devenait trop envahissant.



Il fit volte-face et revint s'asseoir dans un coussin, faisant face au Darui sans montrer de signe d'agressivité, une simple confiance en lui qu'il manipulait de sorte à paraître légèrement agaçant.



Il n'avait rien à lui offrir ou plutôt ne voulait rien lui donner, et même sa parole restait évasive, le cœur de ses motivations n'a pas été percé et il continuait de contempler l'Assassin, préparé à réagir au geste de trop qu'il redoutait d'une brute pareille.