Il y a environ 25 ans.

A quelques heures de trajet des Quais Mizutsune, un éphèbe au regard de braise contemplait l'horizon, il s'était octroyé le droit de se reposer enfin, allongé contre le sable qui constituait cette plage agréable, en une frontière floue entre le Désert Qalish et les Landes de Meridieum. Sa nuque posée contre un baluchon lui permettait de guetter le mouvement des vagues, d'admirer l'astre solaire au loin qui le balayait de sa chaleur. Il se demandait au fond de lui si le plus grand utilisateur d'un œil Pyro arrivera un jour à articuler cette boule de feu comme n'importe quelle autre flamme. Lui se rêvait à manipuler les océans et les mers du bout des doigts. Et sa main se levant en direction du rivage pour faire s'élever une orbe de plusieurs tonnes avant de la faire s'affaiser par ennui en provoquant un splash phénoménal n'était qu'un exemple de ce que son accessoire divin lui permettait.

Il attendait sans doute une recontre. Il avait trouvé il y a de cela quelques temps un être aussi cabossé que lui ne l'était, chacun avait autant de raisons de redouter l'autre mais un nombre égal de raisons de se rejoindre le temps de quelques jours, de quoi évacuer la frustration d'une mauvaise vie, d'un maître sadique ou d'un père au sang de traître. Sa chevelure argentée se perdait contre le sable alors qu'il respirait paisiblement, se berçant au gré des courants d'air balayant son visage, dans ce qui semblait être le calme avant la tempête.

Le garçon ne portait rien d'autre qu'une tenue formelle, celle d'un soldat aux teintes majoritairement bleues, quoi qu'un peu plus prestigieuse par moments et entaillée par endroits. Elle portait les armoiries de sa famille, connue pour leurs sorciers notables qui maitrisaient majoritairement différentes techniques de transmutation.



L'elfe vint à se parler à lui même à voix haute, impatient de voir l'élémentaire arriver. Il avait prévu un grand combat, une répétition en somme. Il avait rêvé du grand final et ne se serait autorisé à aucun moment à le gâcher par un pas de travers. Alors aujourd'hui, il n'allait reculer devant rien.

Tu aurais pu simplement te transformer et laisser le temps effacer ta peine. Celle-ci continue à te consumer petit à petit, sans s’atténuer ou laisser penser qu’elle s’atténuera un jour. Elle s’est mise très rapidement à cotoyer la colère, et les deux sentiments mélangés sont épuisants. Pourtant, tu ne lui en veux même pas d’avoir choisi une autre, qui saurait remplir des offices que toi ne peux faire. Non, vous en auriez discuté, tu aurais compris. Tu aurais souri, tu lui aurais donné ta bénédiction même, heureuse pour lui.

Mais cela également, il l’avait foulé du pied. Il s’était servi de toi comme d’un marchepied, d’un outil pour atteindre ses objectifs. Il avait souillé ces années passées ensemble, votre complicité, il t’avait abandonnée sans un regard ou un regret. Et te voilà, à souffrir encore alors qu’il t’a oubliée.

Tu t’es fait une promesse, heureusement, qui te permet de tenir le coup : pour tout ce qu’il a brisé, sa sentence sera la mort. Pour pouvoir avancer, tu dois passer par là, consciente malgré tout que cela ne sera qu’une fausse étape. Capitale, inéluctable, futile. Plus le temps passe, plus Richter profite des fruits de sa trahison et plus tu t’enfermes dans l’amertume, grande perdante que tu es.

Est-ce que savoir que cette amertume qui te bouffe de l’intéfieur, est partagée, te soulage ?

Non. Tu aimes trop l’humanité pour lui souhaiter une telle douleur. La savoir présente chez Gwendolin, à sa manière, te dépite ; tu ne sais que faire pour l’aider, alors tu as accepté cet entraînement, à défaut. Tu sais qu’il lui sera utile autant qu’il te permettra de te défouler et de t’assurer de garder ton niveau. Tu dois progresser après tout, au moins ne pas régresser.

Te voilà donc à marcher dans le sable, profitant du chuintement de tes pieds nus dans celui-ci. Tu as beau savoir que c’est l’action de la pression de ton poids, du sable et du sel, chaque petit crissement t’émerveille. Tes chaussures à la main, ta simple robe blanche prenant le vent, on pourrait croire que tu n’es qu’une touriste en balade, une jeune femme égarée ou en attente d’un preux chevalier et sa blanche cavale. Ce serait manquer certains détails de ta silhouette. Les cheveux attachés en une couronne de tresses, la rapière à ta ceinture. Les bijoux à tes poignets qui sont en réalité des protections, tes bottines qui n’ont rien de délicat, qui sont surtout pratiques. Tu ne crains ni le vent ni les basses températures, et ta peau sait à peine comment rougir au soleil.

Au loin déjà, tu vois la silhouette de Gwendolin, mais tu n’arrives pas encore à être heureuse de cette rencontre. Tu ne lui as pas dissimulé. Tu n’étais plus assez capable de faire semblant d’être humaine lorsque vous vous êtes rencontrés. C’est à sa hauteur que tu te penches sur lui, les mains croisées derrière le dos, la brise faisant onduler le bas de ton vêtement. Tu fais un effort. Tu souris doucement, faisant un effort, tu ne sais même plus pourquoi.

“Je ne t’ai pas trop fait attendre ?”, avant, tu te serais excusée. Avant, tu aurais ri, appréciant de valloir assez dans le coeur de quelqu’un pour qu’il t’attende. Ce temps semble si lointain… “J’espère que tu es en forme. Je ne compte pas te ménager.”

Le jeune homme étendu sur le sable vint relever les yeux vers la silhouette s'invitant pour lui gâcher le soleil, les muscles de son visage se contractèrent à plusieurs reprises alors ses deux billes rouges avaient du mal à s'adapter aux différents changements de luminosité avant de véritablement faire le point sur la silhouette d'Odrade, l'inspectant ainsi placé d'un regard curieux.



Il vint s'accroupir ensuite pour caresser la lame de verre d'une paire de doigts, dessinant des sillons à sa surface alors qu'il semble se questionner profondément sur le bien-fondé de ses actions. Posséder le pouvoir de détruire l'autre, c'est posséder l'autre. Il se répétait souvent que le monde entier tournait autour de ce principe simple, qu'on avait tenté de le détruire, qu'il avait tout aussi simplement refusé cet état de fait.

Alors il alla saisir la garde de l'épée pour la soulever et l'installer sur son épaule gauche, un combattant aurait déjà reconnu la garde haute que le garçon prenait par habitude dès la lame dégainée, le pied gauche toujours devant, le plat de l'arme contre l'épaulière et la pointe vers le ciel bien qu'elle penchait plus en arrière pour démontrer une posture au repos, gardant ses pieds proches l'un de l'autre pour que pas plus de vingt centimètres ne les sépare.

Il vint ensuite commencer à faire quelques pas dans la direction opposée, massant un collier caché sous sa tunique au niveau de la poitrine d'un groupe de doigts pour bien vérifier par anxiété la position de son œil divin, prenant la forme d'un collier ─certes dissimulé─ mais trônant une pierre bleutée ancestrale et s'illuminant à chaque usage de sa magie divine.



A ces derniers mots, l'elfe se mit cette fois en posture de combat et la lame vint s'élever d'un centimètre seulement de son épaule, la garde haute ainsi soutenue seulement de ses deux mains.

Il aura évidemment laissé tout le temps nécessaire à toute préparation précédent le combat pour son opposante ainsi que la liberté de répondre autant qu'elle le désirait, mais aura aussi décidé de secouer un peu son invitée en envoyant le premier coup tel que suit :

La lame du garçon tombera vers l'arrière en direction du dos de l'elfe avant de dessiner un arc de cercle dangereux tandis qu'il performe un pas de côté, alors que la pointe approche le sol, une vague de sang émerge de son centre et se rue aux extrémités de verre de l'arme. Poursuivant son mouvement, la lame fond en avant d'une coupe partant du bas vers le haut, et dans ce geste, l'objet dessine un agrégat écarlate semblable à une gigantesque vague globuleuse. Le geste terminé, le sort de sang s'élancera en direction de l'élémentaire comme premier projectile tranchant large de plusieurs mètres et fonçant à la vitesse d'un carreau d'arbalète dans sa direction ; le tout, sonnant le début de l'entrainement.

Un faible sourire, une statue de glace dont on change l’expression au burin. Ces mots, tu aurais aimé les entendre de la part d’un autre. Et à présent, tout est teinté de cette trahison qui t’a brisée. Tu n’arrives plus à y croire, pire, tu refuses de même y songer. Tu ne sais même pas quoi répondre ; tu refuses de te laisser à nouveau attendrir, tu refuses, malgré les élans de ton coeur, à t’ouvrir à nouveau à un mortel. Plutôt, tu laisses ton regard se poser sur la lame ; vous êtes là pour vous battre, elle pourrait très bien t’abîmer au point que même sous ta forme élémentaire, tu ne serais plus capable de te régénérer. Un vague frisson te parcourt, le danger est certain.

“C’est une belle lame. La manier doit t’accabler de responsabilités…”

Un instant tu hésites ; tu voudrais avoir un mot pour l’encourager, mais le temps que tu te décides, c’est déjà trop tard. L’instant est passé, et tu suis ses mouvements d’un oeil acéré, t’éloignant toi aussi pour que vous puissiez commencer. Tu aimes ça, ne pas perdre de temps, dans ton état mental actuel. Tu l’observes. Les défauts potentiels dans sa garde, son humanité qu’il te jette à la face sans même s’en rendre compte. Toi, tu souris un peu plus chaleureusement, puisqu’il ne te regarde pas, avant de laisser la glace figer à nouveau ton coeur. Ton regard se fait un peu plus froid, alors que tu assures ta position au sol. Tu dégaines ta rapière, il n’y a rien qui crie “défense” dans ta position, mais plutôt réactivité et rapidité.

“Je te laisse la défense des faibles et des opprimés, mais le poids que tu porteras sur tes épaules sera chaque jour plus lourd si tu t’en encombre. Mais n’oublies jamais : tu n’es pas celui que je veux tuer ; alors je compte sur toi pour survivre !”

Tu es prête ; tu l’as toujours été, prompte à réagir, mais son attaque manque de sonner le glas de l’entraînement. A la va-vite, tu dresses un mur de glace [Défense], qui s’il vole en éclat sous la puissance de l’attaque, te permet d’éviter la majeure partie des dégâts. Tu roules au sol, te redressant pour ne pas lui laisser le temps d’attaquer à nouveau. La joue entaillée, tu ne lui laisses pas le temps de se remettre en garde. Le sable crisse sous tes pieds alors que tu pointes ton arme devant toi, te projetant en avant pour un coup d’estoc qui n’a l’avantage que d’être [Rapide] ; la glace qui t’a servi à prendre de l’élan reste derrière toi, modifiant le terrain pour l’instant. On pourrait penser que te mettre à portée d’une telle arme est dangereux mais tu n’es pas, dans ton état, apte à réellement voir le danger qui t’accable. Ton idée est simple : si proche de lui, il aura du mal à manier sa grosse épée, alors qu’avec ta rapière tu seras avantagée. Peut-être. Après tout, une danse à deux ne fonctionne que si les deux danseurs acceptent de valser…