Les légendes urbaines les plus tenaces ont la fâcheuse tendance à se former à la suite d'événements simples. Dans ce quartier de la capitale méridienne, cela faisait plus d’une heure que l’on ne parlait plus que du monstre de la place du lavoir. Les habitants venus réaliser leur lessive avaient, en effet, été surpris par un élémentaire Hydro. Ce dernier, après avoir giclé des canalisations, s’était déchaîné pendant quelques instants avant de disparaître aussi vite qu’il était arrivé. Les locaux, trempés de la tête aux pieds, avaient immédiatement alerté la garde. L’évaporation littérale de la créature avait suscité mille hypothèses. Pour certains, il s’agissait du spectre d’un élémentaire. Pour d'autres, il n’était qu’un fragment d’un immense élémentaire ayant envahi l’entièreté des égouts.

Ils étaient bien loin de la vérité. Celle-ci se trouvait au fond d’une petite ruelle, assise contre un mur, les bras enlaçant les jambes, la tête sur les genoux. Ira se cachait le corps de sa cape, la tête encore toute secouée de ce qu’il venait de lui arriver. Comment diable Ira s’était-elle retrouvée au cœur d’une aussi grosse ville ?

Tout remontait à quelques heures plus tôt. La petite goutte avait enfin pris son courage à deux mains et avait remonté le grand fleuve reliant la mer Gelée à Rivellon. Son but était de remonter le plus loin possible, sans quitter le cours d’eau, pour avoir une meilleure idée de la profondeur de la terre ferme. Pour la première fois de sa vie, elle découvrit les immenses murailles de la capitale méridienne. L’élémentaire, qui s’était enfin habitué à l’architecture des villes et villages portuaires, eut le souffle coupé devant tant de grandeur.

Le fleuve permettait de contourner l’entièreté de la métropole. Ira en fit le tour, une fois, puis deux, puis trois, sans que son émerveillement ne la quitte. Son enthousiasme était tel qu’il fit taire toutes ses craintes et rendit sa curiosité hors de contrôle. Lors de son dernier tour, elle avait repéré une étrange construction, en aval de la rivière. Il s’agissait de l’un des aqueducs alimentant la ville en eau courante.

Même si c’était loin d’être une bonne idée, elle se donna le nouvel objectif de s’introduire dans la canalisation d’où elle ressentait l’eau s’écouler. Elle y passa toute la nuit, mais parvint finalement à trouver un point d’entrée. Le courant dans l’aqueduc était assez intense, si bien que même avec sa nature élémentaire, Ira parvenait à peine à s’immobiliser. Puis arriva le point de non-retour. Le tuyau dans lequel elle avançait se rétrécit, le courant s’accéléra. Avant qu’Ira ne puisse réagir, la voilà qui se retrouvait piégé dans le dédale formé par le réseau des égouts.

Prise de panique, elle chercha une issue, n’importe laquelle, la première qui s’offrirait à elle. Cette issue fut le lavoir de la place des Trois Grâces. Ira jaillit avec une telle force que l’eau gicla plusieurs mètres en dehors du bain. Sous le choc d’avoir été agité dans tous les sens quelques secondes auparavant, Ira avait oublié de reprendre sa forme humanoïde et agitait ses appendices amorphes comme une pieuvre pourchassée par un cachalot. Les cris et la panique des badauds présents sur la scène ne firent qu’empirer le chaos ambiant.

Ira parvint à recouvrir assez de clarté pour disparaître dans une flaque et réapparaître quelques mètres plus loin, hors du champ de vision de la plupart des passants. Elle se dépêcha de jeter sa capuche sur son corps et de se cacher dans une ruelle. Voilà pourquoi Ira s’était retrouvé au milieu de Rivellon. La présence du réseau d’eau courante l’empêchait de se repérer proprement dans l’espace. De ce fait, elle n’avait aucune idée du chemin à prendre pour sortir de ce traquenard. Intimidé par le brouhaha général de la capitale, l’élémentaire n’avait pas le choix que d’attendre que de l’aide tombe du ciel.