C’est étrange d’être ici, après tout ce temps. Les années ont passées et le paysage a changé, mais tu reconnais encore les plus vieilles bâtisses et la forme des côtes. La mer n’en a que fort peu érodé les flancs, t’offrant un sentiment de déjà vu où se mêle la nouveauté indéniable. Ton objectif en ces terres est simple, et pourtant capital. Des informations, encore, avant de frapper une dernière fois. De peut-être te libérer des chaînes de la vengeance qui te portent autant qu’elles ne t’entravent depuis si longtemps. Vivre pour un but presque inatteignable a quelque chose d’infiniment rassurant. C’est la certitude d’une routine rassurante, de se lever chaque matin en étant assuré de savoir pourquoi.

Tes cheveux raccourcis pour l’occasion te gênent, lorsque tu déambules. Tu as toujours été bien trop consciente de leur présence pour que leur absence ne te donne pas presque la sensation d’un membre manquant. Le vent sur ta nuque, les mouvements, leur présence au coin de ton champ de vision. Mais tout ce qui est bon pour te faire passer pour plus discrète est à prendre, et tu comptes bien remplir ta mission avec succès ; lorsque vous aurez refermé vos griffes sur Richter, tu pourras respirer, sûrement. Tu pourras t’occuper de libérer Zacharia de toutes les obligations avec lesquelles son père l’a attaché…

Vous n’êtes pas nombreux à avoir accosté, et te séparer brièvement de ton capitaine fait peser sur tes épaules la responsabilité des quelques hommes qui sont avec toi. Sur le pont de l’Inépuisable, les hommes d’Onech s’affairent comme tout équipage respectable. Tu ignores si vous avez été repérés, tu ignores si ton changement suffit pour ne pas attirer l’attention. En t’approchant à nouveau de votre ponton, tu fronces les sourcils. Quelqu’un discute avec Feydr, qui semble surpris. Alors qu’il bégaye une réponse, tu allonges le pas pour arriver à leur hauteur, avant qu’il ne commette une bourde. Méfiante, tu as heureusement ton expression un peu distante pour dissimuler - relativement - cette émotion que tu ne peux réprimer. Tu espères simplement qu’il n’a pas dit de bêtise…

“Excusez-moi, madame ?”, tu n’as jamais été noble, tu n’as l’étoffe ni d’une reine ni même d’une princesse. Mais tu es cultivée, vive, et tu as assez vécu pour singer le langage plus châtié des hommes et femmes qui se pensent importants. “Je vous prie d’excuser mon mousse, il est plutôt timide, et fort peu habitué à ce qu’un inconnu lui parle, aussi illustre fut-il.”

Avec un mouvement de chapeau qui découvre tes courts cheveux roses, tu t’inclines face à elle. Il n’est pas nécessaire de savoir exactement qui c’est pour réaliser que tu as affaire à une noble, qu’elle n’est pas d’ici, très certainement, par conséquent… Puisqu’elle ne peut certainement pas répondre à tes besoins, tu n’as aucune raison d’être désagréable ou obséquieuse avec. Tu t’inquiètes juste de votre couverture, de pouvoir rester là sans mettre en péril ni votre mission ni votre équipage. Entre les deux, tu ne saurais lequel mettre en priorité…

“Je me présente ; Lucille Darwi. Ce vaisseau m’appartient. Puis-je vous aider d’une quelconque manière ?”

Une différence certaine, entre les forbans que l’on peut trouver sur les navires du port et toi, c’est que tu préfères que l’on t’offre des bijoux plutôt que les voler aux autres ; tu aimes les attentions plus que les richesses, et si certains trésors illuminent ton regard, c’est bien plus l’excitation de la chasse que la cupidité. Tes hommes ont conscience de ce qui pèse sur vos épaules, et ne risqueront pas votre couverture non plus ; du moins, tu l’espères, vous êtes l’élite du capitaine Onech, après tout. La jeune femme face à toi ne risque rien, tant qu’elle n’est pas une menace pour vous.