Voilà deux semaines que la Kuroïte est arrivée dans les terres de Meridiem, jusque-là inconnues à ses yeux. Elle ne restera que quelques jours sur les quais de Mizutsune, juste le temps de refaire ses provisions, d'admirer un instant le Père de l'Aube qu'elle n'avait, jusque-là, que vu le pic lointain.

Une semaine, c'est le temps qu'il lui aura été nécessaire pour atteindre la baie de Vassago, profitant un instant du dépaysement total. Mizutsune, port d'attache des archipels de Kuro, ne l'avait guère impressionné. Mais à son arrivée à la baie, tout changea. Pour la première fois depuis longtemps, elle observa une ville pleine de vie, et d'espoir ?

Seulement équipée de son sabre et d'une dague dont le fourreau est accroché à sa cuisse, celle-ci s'aventura dans le port, observant les alentours et l'architecture nouvelle, se faisant à ce nouveau paysage. Elle garde néanmoins la main sur la poignée de son arme, sur ses gardes, son air froid et impassible détaillant les différents individus si différents d'elle.

Des sourires ? Tsk, voilà bien longtemps qu'elle n'avait pas fréquenté une ville si animée et stable. Est-ce là une façade ? Une obligation du gouvernement local ? Elle n'en savait rien, et au final, cela ne l'intéressait que peu.

Le haut du corps masqué par sa cape, Eryë entre dans la première auberge qu'elle croise, toisant la salle de son unique prunelle d'or, sans perdre son air pragmatique. La Kuroïte, dévisagée par certains, ira s'asseoir au comptoir et commandera une bière blonde tandis qu'elle sort une étrange tige d'une poche de son ceinturon, l'embrasant d'une flamme d'un briquet à essence. Une cigarette, chose presque inconnue sur les terres de Meridiem, mais affreusement banale à Orochi.

Elle parlera d'abord seule, à demi-mots.






Puis, celle-ci s'adressera au tenancier alors que de la fumée de cigarette s'échappera de ses narines, le toisant de son œil inexpressif à travers le verre de ses lunettes rondes et teintées de rouge, qu'elle retire finalement.






Sans réponse satisfaisante, l'épéiste soupire et retourne à sa chope, dardant parfois la salle de son regard aguerri, aux aguets.

La Kuroïte ne s'attardera de prime abord pas à la scène qui se déroule non loin, après tout, celle-ci n'était pas payée pour protéger la première venue et cherche encore moins à se faire remarquer dans cette nouvelle contrée.

Eryë se contente de voler de grandes gorgées de son bock de bière amère et de finir sa cigarette en un lent soupire pour expulser la fumée en surplus. C'est bien là, à ce moment, qu'elle croise le regard de la Princesse déguisée. Aucune émotion ne se devine dans sa pupille. Va-t-elle l'aider ? L'abandonner à son triste sort ? Voir aider les brigands ? Difficile de le deviner en cet instant.

Néanmoins, cela se précise lors des paroles du scélérat qui font grincer des dents Eryë. Là encore, un soupire nasal sera audible alors qu'elle les détaille tous les trois, tour à tour, lentement, avant de claquer vivement sa chope sur le comptoir, de façon audible, suffisamment pour attirer leur attention, et probablement des autres clients.

A la surprise de la noble Balenos, celle-ci prend alors sa défense, d'une voix monotone mais autoritaire, sans perdre du regard celui maintenant le poignet de la jeune femme






Tous trois s'esclaffent à pleins poumons en l'entendant, qu'est-ce qu'une étrangère, et une femme de surcroît, pourrait bien leur faire ? Les gronder ? En revanche, la bretteuse ne perdit pas son calme, se contentant d'un unique sourire comme réponse, déformant son visage pansé et brûlé. Ce n'était pas là un sourire nerveux ou de joie, mais bien un sourire narquois, provocateur.






Il n'aura aucunement le plaisir de finir sa phrase alors qu'un ouragan se déchaîne dans cette pièce jusque-là relativement calme. En moins de temps qu'il n'en faudra au tabouret d'Eryë pour tomber au sol, l'homme maintenant le poignet de la Belanos sent le tendon de son poignet se faire trancher net et en profondeur, jusqu'à l'os. Évidemment, celui-ci se met à hurler de douleur, tentant d'arrêter le saignement comme il le peut alors que ses compagnons d'infortune s'écartent.

La Kuroîte, elle ? Elle le toise, appuyée contre le mur de l'établissement, juste à côté de son unique sortie. Espiègle, elle n'en perd pas son sourire moqueur, jouant de sa dague en la lançant faiblement en l'air et la rattrapant. Elle n'aura pas jugé nécessaire de retirer sa cape ou d'utiliser son arme principale.

Ce qui saute aux yeux, cependant, c'est que personne n'a vu l'étrangère ne serait-ce que bouger. Un sort de téléportation ? Une illusion ? Aucun être normalement constitué ne peut se mouvoir à cette vitesse. Et pourtant, c'est bien ce qu'il vient de se passer sous les yeux ébahis des clients.

Il ne leur en faudra pas beaucoup plus de s'enfuir en quatrième vitesse comme les chiens qu'ils sont, le blessé comprimant son avant-bras contre son thorax pour amoindrir le saignement durant sa course vers le premier médecin incompétent de la rue.

La femme défigurée darde alors Aerith, perdant rapidement son sourire qui n'était en vérité que de façade. Son air moqueur laisse place à son air désintéressé et vide d'il y a peu alors qu'elle émet un simple son, un claquement de sa langue contre son palet.

Eryë se contente d'un vague rictus étouffé par ses lèvres en guise d'unique réponse, détaillant celle qu'elle venait de sauver, à sa propre surprise d'ailleurs, de haut en bas. Sa pupille d'or détaille les moindres détails qu'elle pourrait observer. Son accoutrement, sa posture, son air, comme un loup analysant une proie.

Une chevelure bien trop parfaite pour une roturière sans le sou, un visage d'ange qui semble épargné par la destinée, à l'instar du sien. Quelque chose n'est pas logique, elle le sent et le sait, et pourtant, elle ne fera rien de cette information.

Évidemment qu'elle connait les Balenos, comment ne pas les connaître dans son cas ? En revanche, elle n'en connait aucun visage, aucun nom. L'invocatrice peut bien être une reine en exile ou une divinité sous forme humaine, elle ne pourrait le dire.

La Kuroïte mesure ses paroles, y pense, et s'avance lentement, nonchalamment jusqu'au comptoir, elle qui est vraisemblablement capable d'atteindre la vitesse des Dieux. Elle ramasse son tabouret et s'y installe de nouveau en s'allumant une nouvelle cigarette dont le paquet et le briquet étaient encore sur le bar.

Pour la première fois, celle-ci s'adresse à elle, là encore de la même voix, sans émotion. Est-elle seulement vivante ? Un démon ? Un spectre ? Un héros déchu ? Difficile à dire.






La femme défigurée l'observe alors de nouveau, la moitié du visage masqué par des pansements de lin, l'autre visiblement couverte de cicatrices de brûlures anciennes mais, qui peinent à guérir alors qu'elle exalte de la fumée de ses narines, probablement de cette tige inconnue qui se consume à ses lèvres, et qui empeste pour les non-initiés.

Évidemment, celle-ci ne répondra rien avant d'avoir vidé plusieurs gorgées de la nouvelle chope qui lui est présentée. Pour une fois, celle-ci laisse ses lunettes déposées sur le bar et observe la femme qui s'installe à ses côtés. Perplexe face à sa nature, elle n'en demeure pas froide au possible, distante.






Demande-t-elle le plus simplement du monde. Voici là sa vie entière, les contrats, l'argent et rien d'autre. Elle ne souhaitait rien savoir du gouvernement local, de la culture ou des soucis de la populace. Elle n'était qu'une lame et appréciait ce rôle. La Kuroïte vient cependant se fendre d'un nouveau rire en détaillant sa voisine, haussant faiblement les épaules, ses bras ravagés de cicatrices de brûlures se laissant voir sa mante.






Eryë la fixe alors de son unique prunelle, perçante, analysant son esprit. Est-ce qu'elle en sait plus sur Aerith qu'elle ne le dit ? Pourrait-elle savoir qu'elle est une Balenos, ou même une proie facile ? Qui sait. Cela dit, celle-ci n'est pas dupe. Une roturière ? Non, ce n'était pas ce qu'elle avait en face d'elle.

La Kuroïte rit de bon cœur en l'entendant, haussant avec lassitude les épaules tandis qu'elle s'allume une énième cigarette en gardant en mire son interlocutrice. Comme par magie, ou dans son cas, par magie, son briquet à essence disparait sans prévenir.

Elle viendra tirer longuement sur cette petite tige de consumant rapidement, en crachant la fumée tout en esquivant ce petit bout de femme. Eryë lève les yeux au ciel, réfléchissant, elle-même n'ayant aucune idée de ce qu'elle pourrait demander.

Cependant, elle se met à sourire puis à étouffer un léger rire tout en observant sa voisine, un léger sourire en coin des lèvres. Était-il sincère ? Peut-être, difficile à savoir.






Était-elle néanmoins sérieuse ? Une faveur, uniquement ? Cela pourrait cependant être tout et rien à la fois, un pacte avec le diable en personne. Elle n'en dira néanmoins pas plus, laissant planer le doute face à ses intentions. Savait-elle elle-même ce qu'elle voulait ? En vérité : non. Mais il est toujours utile d'avoir des jokers secrets dans sa manche.

La Kuroïte se penche en direction de la Meridienne lorsqu'elle lui murmure son nom tandis que sa cigarette continue de se consumer lentement à ses lèvres. C'est la surprise qui la frappe à l'annonce. "Balenos", un nom qu'elle ne connait que trop bien. Un nom qu'elle haït en vérité, mais celle-ci n'est clairement pas la source de ses malheurs.

Surprenamment, Eryë joue le jeu de sa voisine et mime un soupir blasé en haussant les épaules, laissant échapper un petit rire nasal en expulsant là encore de la fumée odorante et âpre des narines.






Eryë marque une pause avant de lui en dire davantage, déposant sa tige à moitié consumée sur le bord du bar pour voler plusieurs longues gorgées de son bock de bière. Elle hésite, en vérité, à lui en dire plus. Mais ce n'est là qu'un échange de bons procédés. Elle n'avait, en vérité, que peu d'intérêt à lui demander son nom, si ce n'est à satisfaire une curiosité morbide.






Bien qu'ayant déjà avalé plusieurs pintes, la bretteuse tique des esgourdes aux bruits de pas proches et attrape de nouveau sa roulée pour la glisser au coin de ses lèvres. Elle se tient prête, mais reste installée sur son tabouret, les bras croisés sous sa mante alors qu'elle garde la main non loin de la poigne de son katana, aux aguets.

La Kuroïte observe les deux gardes de la Balenos qui entrent, haussant un sourcil. De son côté, elle ne savait rien de leurs origines et se montrait attentive, les détaillants un instant de son œil assassin avant de revenir à la femme à ses côtés. Bien évidemment, sa dextre se dépose sur la poigne de son katana, sous sa mante, l'air de rien, « au cas où ».

Eryë termine son bock de bière d'une seconde traite et hausse les épaules lascivement. Voilà qu'elle s'intéresse à Kuro maintenant ? Étrange. Mais il est vrai que cela devait être une contrée lointaine à ses yeux, autant qu'elle-même avec Meridiem. On peut alors l'apercevoir hausser les yeux au plafond, réfléchissant un moment à ses mots.






Celle-ci se fait terriblement franche dans ses propos, amère avec même un soupçon de rancœur. En vérité, celle-ci vient de se trahir, lorsqu'on en sait plus sur elle : elle avait aidé, indirectement ou directement, certains princes à se mettre solidement en place, et pourtant, elle ne semble ne leur porter aucune affection. C'est une mercenaire, une lame à louer froide, mais qui parait avoir un but à long terme, quelque chose qui la pousse à agir avec tant d'indifférence pour le moment.

Était-elle seulement ce qu'elle disait être, une femme froide et calculatrice ? Oui, elle l'est, mais pas gratuitement, jamais rien n'est gratuit ou laissé au hasard avec elle, dans tous les cas.






Eryë l'observe en clignant du cil, attrapant de nouveau la cigarette, éteinte depuis le temps, entre ses lèvres pour l'embraser de nouveau d'un briquet qui semble apparaître et disparaître à volonté. Cette fois-ci, la Kuroïte prendra soin de cracher la fumée dans le sens inverse à la Balenos.

Eryë se contenta d'un petit sourire en coin à la vue des deux molosses à l'entrée de l'établissement, attablés l'air de rien. Ce sont eux, la garde royale de la Fleur des Balenos ? C'est une blague ? Une nouvelle cigarette viendra lui orner les lèvres, allumant cette énième petite tige du briquet toujours apparaissant et disparaissant à souhaits. À se demander d'où il sort.

Elle tire un long, long moment sur sa cigarette, exhalant le « trop-plein » en laissant échapper un rire à sa remarque. Un rire triste, presque mélancolique, tandis qu'elle hausse les épaules en observant sa voisine.






À ses mots, elle émet un nouveau soupir, bien qu'elle écoute la Meridienne détailler son met favoris. Vraiment, si simplement que cela ? Étrange pour une noble, surtout de sa carrure, mais cela arrache un sourire à la bretteuse.






Elle terminera sa cigarette assez rapidement, souriant faiblement tandis que la garde rapprochée de la Princesse relèvent les yeux en direction de la Kuroïte qui donne des mauvaises idées à la Balenos. Celle-ci les darde du coin de l'œil, joueuse, voulant voir jusqu'où sont-ils prêts à aller.