L'ambiance de la taverne est de celles que tu aimes.

Un pianiste que personne ne dérange dans le chahut ambiant, tous appréciant trop la distraction pour s'approcher de lui, même en cas de bousculade, des chants de marin dissonnants, des éclats de rire ponctués de sifflement pour attirer l'attention d'une serveuse ou une autre, et parfois quelques mots criés à la foule par un barman éreinté qui ne demande qu'à se reposer un peu.

Avec un sourire en coin, tu lèves ta chope pour demander à être resservi, et te laisse aller contre le dossier de ton fauteuil alors que la jolie rousse emporte -temporairement tu l'espères- ta chope vide. Tes cheveux coulent sur tes épaules, libérés de la queue de cheval stricte que tu t'imposes souvent, tu ne portes ni tricorne, ni même ton sabre, mais simplement le long manteau broché d'une anguille qui, si l'on ne te reconnait pas tout de suite, achève de convaincre les badauds de ne pas t'emmerder.

Et cela fonctionne bien, a priori.

Alors que la douce caresse de l'alcool sur tes pensées commence à se faire sentir, tu fermes les yeux en repensant à ce que tu es venu faire ici. Oh, bien sûr, le Narval Ivre est ton pied à terre préféré, tu es ici chez toi, car tu as publiquement annoncé que quiconque posait trop de problème aurait affaire à l'amiral Onech et ses équipages, mais ce n'est pas simplement pour la beauté de ses serveuses, le gout de ses bières, ou même profiter d'une nuit loin de tes responsabilités que tu es là, bien au contraire.

On t'a annoncé il y'a quelques temps qu'une jeune femme avait besoin d'un transport rapide et sûr. Vers où ? Pourquoi ? Qui était elle ? Peu importait, en réalité. Une partie de ta flotte continuait leurs activités en mer, pour l'instant, et, si l'Inépuisable avait un équipage trop compétent pour qu'il se consacre à autre chose que la piraterie, le Fulgurant pouvait bien transporter occasionnellement quelques passagers... Si la paie était bonne.

Mais la paie, elle ne concernait que toi. Les profits dégagés par la Fleur, l'Absolution, le Colérique et le Silencieux étaient trop importants pour que tu ne puisses pas payer grassement le salaire de tes équipages de bricks, alors peu importait si l'on te payait en espèces sonnantes et trébuchantes, en faveurs, ou en informations. Tu avais besoin d'alliés, et après tout, une jeune halogienne pouvait avoir des ressources insoupçonnées... Voilà pourquoi tu avais demandé à l'un de tes assassins qu'il lui donne rendez vous ici.

On te parle, et tu rouvres paresseusement un oeil avant de te redresser, en faisant signe à la blonde de te ramener ta cargaison. Tu fais craquer tes doigts, attrape la chope revenue, comme par miracle, sur la table, et en avale une gorgée avant de prendre la parole.

"Bonsoir, Dame Skam... Je vous en prie, asseyez vous. On m'a dit que vous aviez besoin d'un transport maritime... ?"

« Ils nous reluquent, comme une bête de foire. Ces Meridiens, leurs petits yeux, mesquins et vicelards, transpirent d'ignorance et d'un goût pour l'exotisme. Ce ne sont pas nos amis, ils ne seront jamais.

Prends-toi à baisser ta garde ne serait-ce qu'un instant, et ils en profiteront comme le plus couard des roublards, qui fuit, lâchement, furetant jusqu'à trouver une brèche dans laquelle s'engouffrer.

Nous sommes en terres où nous ne sommes pas maîtres, mais nous représentons la fière nation des Premiers-Hommes.
Reste fidèle à ce que tu es, demeure une vraie Halogienne, et tout ira bien. »

Voilà un moment maintenant que Dalas avait posé pied en Meridiem. Passant des forêts luxuriantes, aux grands prés verdoyants s'étendant à perte de vue, jusqu'aux hameaux de tailles variables, l'Halogienne ne s'était attardée plus longtemps que le strict nécessaire. Où qu'elle allait, celle qu'on désigne si promptement comme "la Barbare" maintenait une saine distance de sécurité avec la population de cette nation.

Toutefois, ça ne l'empêchait pas de faire office d'attraction principale, peu importe où elle passait. Et oui, son désir de passer relativement inaperçu et faire son bout de chemin en solitaire s'en trouvait largement saboté par sa propre nature ; difficile d'être discrète quand on fait plus de deux mètres et quelques de haut, affublée d'une armure carapace aux couleurs de givre, de gantelets et solerets rembourrés d'une couche épaisse de fourrure, et d'une gigantesque hache à deux mains dans le dos.

Là où elle passait, les gens ne savaient faire autrement que de se retourner à son passage. Pour la majorité d'entre eux, c'était la première fois qu'ils apercevaient une représentante en chair et en os des Cimes d'Halogia, et pas une caricature des bouquins d'histoire. Certains baissaient les yeux à son passage, intimidés par la présence soudaine d'une Barbare dans leur champ de vision. D'autres attendaient simplement qu'elle les dépasse d'un pas lourd pour commérer entre eux, le plus souvent au sujet de sa carrure. « Tu crois qu'elle serait capable de soulever ma charette à mains nues..? », « Olah, j'en connais une qui a trop poussé sur la fonte... » Flatterie, ou moquerie, bien que jusque-là, aucun ne sut trouver suffisamment d'audace, ou de courage, pour lui lancer directement la remarque.
Pour d'autres, c'était encore une affaire d'exotisme. Il y a de tout dans la nature, et il faut de tout pour créer un monde. C'est pourquoi, dans certains cas, hommes comme femmes se prenaient à s'empourprer, virer pivoine, lorsque l'Halogienne plantait son regard azuré dans le leur, sensibles dans leur cas, au charme de la Barbare. Ahh, quoi de mieux pour stimuler l'esprit que de s'imaginer dans un gros câlin de la part d'une brute à la morphologie comparable à un corps bouffi de stéroïdes, ou encore de se faire coincer à l'angle d'un mur par une nana qui fait trois ou quatre têtes de plus que soi !?
Eh bien... grand bien vous fasse ?

Les seuls qui composaient une exception, c'étaient les enfants. Certains s'enfuyaient en criant, hurlant que le monstre Halogien que môman avait promit s'ils ne finissaient par leur soupe, s'avérait bien réel, et qu'il était venu pour eux.
D'autres encore, approchaient avec un naturel curieux et complètement dénué de crainte de la Barbare, ignorant complètement les invectives de leurs parents, parfois en se mettant directement en travers de sa route, forçant Dalas à ralentir sa marche. Ils lui posaient mille questions, au sujet de sa taille, si elle arrivait à passer les portes, si elle pouvait soulever un canasson d'ici à la seule force de ses bras, combien de monstres elle avait tué... Il y eût même un ou deux apprentis voltigeurs qui s'amusaient à lui grimper sur le dos, tripotant son casque à cornes.
Si cela avait le don de l'agacer, grognant comme un animal sur la défensive, - donnant au passage raison aux petits vieux racistes qui observaient la scène avec mépris pour celle qui perverti par sa seule présence la jeunesse, elle ne faisait pourtant rien pour s'en débarasser. Il lui arrivait même parfois de laisser les petits jeunes porter son heaume, mais juste quelques secondes, avant d'être rappelés au pied par leurs parents illico presto.

Au final, tant d'expériences variées, mais qui jamais ne surent créer un lien ou une véritable vision contrastée des Meridiens pour l'Halogienne.

Enfin, la voilà qui était arrivée à cette taverne aux allures de rade à ses yeux, après redirection de la part de, - ce qu'elle ne savait pas, un assassin de Zacharia.
Après tout, tout ce qu'elle voulait, c'était un transport maritime.

Passant l'entrée avec difficulté, sa stature l'obligeant à se pencher pour ne pas se prendre l'encadrement de la porte en pleine poire, l'Halogienne jeta un regard aux alentours.
Deux personnes éméchées, sur le pas de la sortie, lui rentrèrent dedans par inadvertance.
« Ooops... Hips! Pardon m'sieur... Dit l'un.
- Gérard ! C'est pas un m'sieur ! Hips! Observe donc l'envergure de ce barbarisme féminin !!! Le... corrigea..? L'autre.
- Oh, mais c'est tit pas vrai tout ça !! Quelle POUISSANCE IRRADIE de ce... Hips! Spécimen !! »

Clignant des yeux, Dalas écarta simplement les deux, chaque paluche dégageant les deux têtes sur le côté dans des protestations vaines, avant de finalement retrouver Zacharia.
Comme on s'y attendrait naturellement de la part d'une Barbare, la Skam exhalait de puissance physique, largement intensifiée par le port de son armure lourde. C'est un véritable titan à l'échelle humaine, béhémoth de muscles, et pourtant féminine. Son visage pâle, froid, mais noble, se tournait ici, et là, puis de son regard scintillant d'un bleu si puissant qu'on n'en distingue plus ses pupilles, elle avisa l'homme.

« En effet. »

Agrippant sa hache à deux mains, elle la déposera contre le rebord de la table. Celle-ci doit bien faire la longueur d'un homme ordinaire, et la tête, la circonférence d'un crâne humain. On pourrait largement l'employer comme bélier... la hache. Ou même la femme, finalement.

Ironiquement, en contraste, sa façon de s'exprimer était impeccable.

« J'ai besoin d'un navigateur fiable pour me conduire à une zone spécifique des ilôts ceinturant la Mer Marchande. L'objet de mon contrat s'y trouve. »

Tout te va à merveille.

L'arrivée de la nouvelle-venue a chassé la douce léthargie de la boisson, pour la remplacer par la bien plus stimulante étreinte intriguante d'une conversation éclairée. Car, en dépit de ses apparences, la barbare s'exprime d'une voix douce, posée. Oh, elle n'est pas sans rugosité, et tu ne peux pas douter que ce soit une guerrière, mais elle est policée, agrémentée d'un charmant accent qui lui donne plus d'authenticité. Et pourtant, en digne halogienne, elle va droit au but, ne prenant même pas la peine de demander son nom.

Pourtant, elle est venue. Simplement recommandée par un homme qui n'était sur sa route que par coïncidence. Bien sûr, ses assassins étaient doués pour se donner l'allure de gens respectables, et qu'il faisait bon écouter, mais elle avait, ou bien un besoin impérieux au point que n'importe quelle aide serait la bienvenue, ou bien l'instinct de savoir qu'elle parlait à quelqu'un capable de faire ce qu'elle demandait. Et à bien y réfléchir, en essayant de se représenter son apparence actuelle, elle devait avoir un solide instinct. Lui même ne se serait pas accordé beaucoup de confiance.

Cette pensée t'aurait tiré un rire, si tu n'étais pas concentré. A regrets, tu chasses de ton esprit les dernières brumes de l'alcool, et l'observe.

Oh, tu as bien eu quelques halogiens dans tes équipages, mais rarement étaient ils si imposants. La taille était souvent un handicap, pour un combattant. La plupart d'entre eux étaient lents, facilement déstabilisables, et leur force compensait rarement ces inconvénients... C'était bien sur d'autant plus vrai en mer, ou un centre de gravité aussi haut entrainait des mals de mer plus fréquents, rendait l'équilibbre plus aléatoire, augmentait la faim et la soif, dans un monde où les privations étaient fréquentes... Oh, tu n'en voulais pas dans ton équipage, pour rien au monde, mais à sa façon de manipuler sa hache, tu ne doutes pas de son expérience.

Intéressant.

"Il va de soi, Dame Skam, que je ne vous demanderai rien sur ce contrat. Rien qui n'a pas trait, cela dit, à la sécurité de mon équipage. Il y'a, parmi ces îlots, de superbes îles, mais aussi le terrier d'équipages pirates qui se feraient un plaisir de couler mes précieux compagnons par vengeance. Alors ma première question est donc celle-là : ce que vous allez chercher est il gardé ?"

Le peu d'expressions transitant sur son visage se manifestait principalement au-travers de ses yeux. Et encore, ils étaient plantés dans ceux de Zacharia. À aucun moment, elle ne rompit le contact occulaire, même si parfois, elle inclinait presque imperceptiblement la tête de côté, comme considérant certaines réponses. Loin d'être un automate, elle était pourtant à l'image même des Cimes d'Halogia ; incroyablement froide.

C'était comme parler à une statue faite de marbre. Constamment, elle donnait l'impression de jauger et juger l'homme qui lui faisait face. Quant à savoir ce qu'elle en pensait... Là aussi, tout n'était que brume intense.
Toutefois, certains signes ne trompaient pas, pour un oeil avisé.

Le simple fait de laisser la nature de son contrat à sa propre discrétion lui était d'une nouvelle bienvenue. Enfin, quelqu'un d'assez malin pour se mêler de ses propres affaires. ... Ou simplement de ne pas laisser sa curiosité prendre le pas sur son professionnalisme. Dans un cas comme dans l'autre, l'Halogienne respectait ça, c'est pourquoi elle inclina la tête en guise d'entente.

Attrapant sa besace, l'ouvrant, Zacharia put apercevoir sans difficulté aucune, plusieurs objets à l'intérieur. D'abord, ce qui semble être un parchemin disposé dans son étui, - sans doute le contrat en lui-même, puis plusieurs objets, breloques et visiblement des trophées, à la fois loufoques et peut-être surprenants. En majorité, des crocs, appartenant visiblement à des espèces variées, mais peu ou prou toutes imposantes, comme les folkloriques loups d'Halogia, dont une rangée entière ornait un collier tressé à la main.
Et puis, comme dit, des babioles. Des attrape-rêves, de petits peignes, des épingles à cheveux... Pour finir par de la nourriture, et, sans surprise, de la viande séchée en extrême majorité.

« La sécurité de votre équipage ne devrait être sujette à risques. Par les renseignements que j'ai glané auprès de forbans en escale près d'ici, ces pirates ne sont pas susceptibles de s'intéresser à ce que je recherche. »

Sortant une carte enroulée, qu'elle vint déplier sur la table, celle-ci représentait le monde connu. Désignant la partie de la Mer Marchande, elle désigna le second ilôt en partant du Sud du Manoir Balenos.

« Ici, plus précisément. De sorte à pouvoir garantir une bonne entente et une certaine sanité dans nos rapports professionnels, je vais vous concéder une information sur l'objet de ma requête. »

Relevant de nouveau son regard dans le sien, elle poursuit, toujours aussi brut de pomme, clairement pas du genre à tourner autour du pot, et pourtant, d'une douceur à la sonorité presque musicale dans la voix, en contraste avec son apparence de grosse brute. Mais, à ne pas s'y tromper, pour sûr, si elle venait à s'énerver, nul doute que cela ferait aussi son effet effrayant.

« Je recherche une tablette, vieille de plusieurs années, perdue lors du naufrage d'un navire voyageur. Elle contient des informations sur un monceau de terre qu'un petit nobliaud cherche à se réapproprier, et celle-ci pourrait l'aider, ou non, dans son entreprise, je me fiche du dénouement, je suis payée pour la retrouver. Si vous craignez de vous attirer l'ire des pirates, ceux-ci ne sont certainement même pas au courant de son existence, sans quoi, ils auraient déjà proposé de la rançonner. »

Croisant les bras sur le buste, Dalas releva le menton, fronçant les sourcils un court instant, avant de reprendre.

« En revanche, il se peut que la tablette soit gardée par une faune potentiellement hostile. Je ne demanderai aucune assistance, uniquement un moyen de naviguer. Une fois sur place, j'irais seule, afin de préserver la sécurité de vos hommes. Si en effet, les pirates étaient présents, et qu'ils cherchaient à engager les hostilités dans une vindicte de pillage, et qu'il arrivait malheur à votre navire ou votre équipage, alors je m'engagerais à vous dédommager à la hauteur des dégâts reçus, une fois ma prime empochée. »

Son doigt posé sur une île te fascine soudainement.

Lorsqu'elle avait ouvert sa besace, tu avais détourné poliment le regard, bien qu'un coup d'oeil lorsqu'elle avait commencé son mouvement t'avait suffi pour déterminer que son contenu ne présentait pas de danger immédiat. Tu étais sincère, lorsque tu disais ne pas vouloir en apprendre plus. Il y'avait un certain nombre de choses qui ne t'intéressaient pas, en ce bas-monde, et il fallait bien dire que les poches d'une halogienne en faisait partie, pour intéressante qu'elle soit. Mais cette dernière information...

Une occasion rêvée de s'approcher du manoir Balenos en ayant une bonne excuse. Il faudra sans doute cacher son pavillon, ou au moins en changer, mais ce ne sera ni la première, ni la dernière fois... Cela te permettra de te renseigner un peu sur les nouveaux bâtiments éventuels, et, si ton équipage est contrôlé par les corsairs naviguant dans ces eaux, le capitaine ou l'assassin à son bord aura tout le loisir de poser des questions innocentes, ou simplement d'observer. Si les dieux t'ont envoyé cette halogienne, c'est qu'ils t'aiment terriblement.

"Avec tout le respect qui vous est dû, ma Dame, si mon navire est coulé par des pirates, je doute que vous puissiez le rembourser, si vous vous en sortez vous-même..."

Tu as prononcé ces mots d'un ton légèrement amusé, tout en observant la carte. Elle pourrait croire que tu es concentrée sur ce qu'elle dit, que tu évalues la menace, mais tu l'as fait à l'instant où elle a pointé cet endroit sur la carte. Au pied même de son manoir, pour ainsi dire, il n'y a pas de menace. Richter est peut être un simple ex-corsaire vieillissant et indolent, mais il n'a pas oublié qu'il faut écraser la résistance dès qu'on la trouve, surtout si elle est trop proche. Il tient ce bout de mer d'une main de fer. Tu as bien plus à craindre les corsaires que les pirates, dans ces mers. Mais le Fulgurant est connu pour être un navire de transport rapide, plus que pour ses manoeuvres militaires. Il suffit de grimer son pavillon, peut être de le repeindre... Tu pourrais pousser le vice jusqu'à prendre la place de son capitaine.

Tu ne crains rien de ce voyage, au contraire, mais il est tout intérêt à ce qu'elle le pense dangereux. Tu relèves la tête vers elle, grave, dissimulant avec brio un sourire.

"Néanmoins, je suis prêt à vous accorder le bénéfice du doute. Vous avez fait un long voyage, et la réputation des vôtres vous précède. Si vous vous engagez, vous tenez votre parole, et vous êtes bien trop déterminés pour abandonner. Cela dit... J'avoue être curieux. Non de l'objet de votre mission, même si je vous remercie d'avoir partagé cette information avec moi, mais à votre sujet. Considérons que j'accepte votre demande, mais entendons-nous pour fixer le prix un peu plus tard, le temps que nous discutions. Je préfère des amis à des clients, voyez-vous, et j'espère que vous en serez...

Alors laissez-moi me présenter, avant tout..."

Tu te laisses à nouveau aller dans ton siège, légèrement, et claque des doigts. Une étincelle prune en jaillit, explosant dans un bruit d'arc électrique, et aussitôt, les discussions se calment, et le piano s'arrête. Quelques hommes se lèvent, en escortant d'autres dehors, et bien vite, l'ambiance se fait plus respirable. Ne restent plus que le barman, les serveuses, et ceux des clients qui font partie de ton équipage... et qui représentent bien une cinquantaine de clients, qui, lentement, et à voix basse, commandent à nouveau, tandis qu'un bosco se place à l'extérieur, devant la porte.

"Je suis Zacharia Onech. L'amiral de la flotte du même nom. Je ne vais pas y aller par quatre chemins : Je suis un pirate, et, avec ceci, l'un des meilleurs. Nous ne tuons que ceux qui sont en capacité ou ont la volonté de nous affronter, et laissons partir les autres après avoir récupéré de quoi vivre et faire vivre ceux que nous aimons. En soi, la différence entre les corsaires et nous, c'est simplement là où se trouve notre foyer. Ils tuent autant que nous, et nous sommes autant haïs par les autres équipages pirates qu'eux. Une forme d'amitié étrange, les relations entre pirates.

Cela vous fait-il revoir votre proposition, Dame Skam ?"

Exhalant d'un souffle nasal, plus proche du sanglier qui ronchonne que du soupir, le beau parler de Dalas ne la sauverait pas des choses factuelles, cette fois. Beaucoup de fois, elle était parvenue à surprendre et convaincre les natifs de cette région, par son vocabulaire riche et soutenu, en contraste total avec son apparence de grosse brute.
Mais, dans le cas de Zacharia, ce n'était visiblement même pas la peine de réitérer. Il avait le regard digne du faucon de proie, la ruse du renard, et la langue du serpent... Ce qui forçait le respect pour la Barbare, autant que cela l'agaçait. En effet, elle n'est pas née héritère de la fortune de Crésus, et il relève de l'impossible qu'elle dédommage des frais à hauteur d'un rafiot entier.

Dans son cas, elle n'y connaissait rien. Ni aux pirates, ni aux corsaires. Pour elle, cela revenait du pareil au même ; des types qui portent un tricorne et qui ponctuent leurs phrases de ; "Arrr!" tout en levant un verre de rhum entre deux abordages.
Et oui, elle-même n'est pas insensible aux stéréotypes.

« Mmh'... »

C'était un grondement sourd qui se produit, lorsque tout se tu. Dalas n'était pas intimidée, pas le moins du monde, en revanche, sur ses gardes, elle l'était. Premier-Homme en territoire relativement inconnu pour elle, région où les siens sont mal vus de surcroît, il n'en fallait pas beaucoup pour que ses doigts gantelés se crispent.

Elle n'était pas à l'aise. Ce n'était pas sa place. La sienne appartenait aux champs de bataille, aux grandes escarmouches, où le tumulte du combat, des lames qui s'entrechoquent, des hurlements bestiaux et guerriers s'entremêlent dans une cohue efferverscente dédiée à l'art aussi sauvage que chevaleresque de donner la mort. Elle ferait davantage un meilleur guerrier, garde du corps, ou unité de choc, que roublarde.

Ici, en plus de trancher avec le décor, et de sentir la présence pesante de tous ces yeux posés sur sa silhouette, elle angoissait.
Son sérieux était un mixe naturel de la conséquence d'une éducation rigoureuse, mais aussi d'un masque porté, dans une volonté d'éviter tout soucis, de ne pas sortir des sentiers battus, d'assurer sa sécurité, ou encore d'éviter tout simplement de s'attirer la sympathie ou l'hostilité des autres.

Dalas l'écoutait, et son regard se posait aux endroits stratégiques de la taverne. Elle cherchait à déterminer les emplacements de couverture, combien de personnes étaient armées, - et dans ce cas, avec quoi. Les issues aussi, sans oublier de noter la présence du gaillard s'étant posté de sorte à bloquer l'entrée, ou la sortie.

Tout cela, Zacharia pouvait le déterminer, le déduire, le voir. C'était évident, tant il était dans son élément, là où l'Halogienne, elle, barbottait comme un poisson dans la boue.
Pourtant, loin d'en être déconfite, elle ne perdit rien de sa prestance.

« Non. Pirates ou corsaires, vous avez vos aspirations et vos méthodes, et je les respecte. Si les motivations de tout à chacun me préoccupaient au point de refuser une offre, alors je me serais cantonnée aux Cimes d'Halogia. »

Finissant par pencher la tête sur le côté, le souffle plus calme à présent, Dalas reposait ses mains sur le rebord de table.

« Dans tous les cas, vous me semblez... Suffisamment honnête. Marquant une pause, réajustant une mèche de cheveux immaculée derrière son oreille, elle reprit. Je me nomme Dalas, du clan Skam, comme vous le savez déjà. Et j'imagine que vous savez bien d'autres choses à mon sujet, mais aussi je préfère me présenter de moi-même. »

Cillant un instant, l'Halogienne attendait qu'une serveuse passe à proximité pour lui chiper une pinte de son plateau. Ce n'était pas à sa destination ? - Tant pis, elle éprouvait un fort besoin de confort dans une bonne boisson, et, qu'importe à quel point son sérieux est exemplaire, elle demeure sauvage dans l'âme.
Après une rasade bien descendue, l'air plus sereine, elle poursuivit.

« Je suis née et ait grandie dans le but de devenir une guerrière. La majorité de mon éducation, ma formation ont été orienté en ce sens. Mon crédo est la recherche de la perfection, dans tout ce que j'entreprends, jusqu'à maîtriser parfaitement chaque aspect martial, ou de la vie. Mon but n'est ni la gloire, la renommée, le prestige, les titres, ou l'argent, quand bien même j'en ai besoin pour vivre. Aussi, je porte en horreur les menteurs et les traîtres à leur parole, et il en va de soi, comme vous l'avez souligné, que je ne reviens jamais sur un accord, mon honneur est ma fidélité, peu importe de quel côté de l'Histoire je me trouve. »

Reposant la pinte sur la table, elle dressait un sourcil.

« Ceci, c'est pour le grosso modo. Quant au plus précis, je répondrais à vos questions. Mais avant ça, j'en ai une pour vous. Un léger soupir s'échappa de ses lèvres. Pourquoi accepter d'en discuter, avec une Halogienne de surcroît, si les risques sont si élevés pour vos biens ? »

Les démonstrations d'autorité avaient toujours un sens.

Parfois, elles ne servaient qu'à flatter l'ego de celui qui prétendait manier le pouvoir... Parfois, elles servaient à intimider, et parfois encore, elles étaient presque involontaires. Le moyen le plus simple d'obtenir ce que l'on voulait. Alors, elles en disaient sans doute plus long sur l'homme qui les faisait qu'autre chose. Cette occasion était l'une d'entre elles, mais tu n'aimais pas n'avoir qu'une raison de faire les choses. Mais tu avais besoin de connaître cette femme face à toi, et cette façon de faire n'était pas plus mal qu'une autre.

Elle se mit immédiatement sur ses gardes. Cela n'avait rien d'étonnant, considérant que tous les regards se dirigeaient maintenant vers elle, mais elle réagit avec une forme d'angoisse. Elle cherchait les issues, elle essayait de repérer les armes... Si elle était à moitié compétente, elle avait déjà fait la liste des cibles les plus faibles, et repéré un itinéraire garantissant au mieux sa sécurité et une évasion rapide. D'un coup d'oeil, tu fais le même travail... Oh, bien sûr, tu triches, tu connais chacun de ces hommes, et tu vois directement qu'ils sont mal organisés. Peu importe, ils ne sont pas là pour ça. Le but premier était bel et bien que vous vous détendiez, après tout... C'était raté pour elle.

Mais sa réaction t'en disait long. Elle s'est rapidement calmée, au point de voler une bière à la serveuse. Elle doit supposer que tu paies, et elle a plutôt raison. Et, dès lors qu'elle a bu, elle semble de nouveau parfaitement calme. Tu devines la tension résiduelle dans son corps, et tu sais qu'à la moindre menace directe, elle se débattra comme un porcelet à l'abattoir. Cela te va, tu ne comptes pas la menacer.

Sa présentation laisse à désirer. Oh, elle te donne beaucoup d'informations, notamment sur qui elle est réellement, en son for intérieur, mais dans le même temps, tu ne peux t'empêcher d'y voir les zones d'ombres... C'est plus fort que toi. Tu ne t'intéresses pas aux choses qui ne te servent pas, mais dès lors qu'une personne commence à s'exposer, ton naturel revient au galop. Tu veux en apprendre plus, la comprendre, pour savoir comment faire pression sur elle, comment l'utiliser, comment obtenir sa loyauté indéfectible. Tu détestes ça, chez toi... Alors tu choisis de t'en détourner.

"En ce bas-monde, Dame Skam, ou peut être Dame Dalas ? En ce bas-monde, l'argent n'est rien. Si demain je perdais tout, je sais qu'il me faudrait au plus deux ou trois ans pour me composer une nouvelle identité, trouver un nouveau travail... peut être une vie plus agréable que celle que je mène actuellement. Mais je suis un homme de conviction et de détermination, comme vous... Si je suis prêt à risquer mes biens, et la sécurité de mes hommes, c'est effectivement que j'ai un objectif qui n'a rien de pécunier.

On ne devient pas le plus grand amiral pirate des mers en se faisant payer pour emmener une femme sur une île. On devient le plus grand amiral pirate des mers en devenant amis avec les puissants de ce monde, des gens à sa hauteur. Et une halogienne à la recherche de la perfection martiale pourrait bien rentrer dans cette catégorie... Les guerres se gagnent avec des alliés, jamais en solitaire, et, malgré tout l'amour que j'ai pour les océans, certaines guerres ne s'y disputent pas.

N'y voyez pour l'instant qu'un échange de bons procédés. Je vous rends un service, cela nous permet de nous rencontrer, et c'est à vous de voir ce que vous pensez de moi. Si je peux vous compter parmi mes amis, si nous resterons des inconnus dont les routes se sont croisées, ou si vous voulez vous opposer à moi... Mais en attendant que vous preniez une décision, je peux bien vous rendre ce petit service."