Un corps gisait dans une mare de sang, une scène récurrente à Halogia, où les clans se livraient une guerre sans fin depuis des temps immémoriaux.

Au pied du luxuriant Mont Vulkharn, un super volcan dont l'ampleur n'était surpassée que par le Père lui-même, gisait Raegar, un combattant redoutable. Il avait été pris en embuscade lors d'un rixe face un clan ennemi, son corps parsemé de tatouages et de traces noirâtres peinait à respirer, jusqu'à ce qu'il relâche sa râle d'agonie. Mais à son dernier soupir, il revint à la vie. La forêt sembla s'animer autour de lui, et il n'était plus Raegar, il retrouvait son idyllique prison, ce lieu qu'il ne pouvait pleinement pas quitter... La case départ.

Ce monde était en tous points l'égal du monde physique, le ciel et le soleil étaient les mêmes mais il y régnait un silence assourdissant. Les carcasses jonchaient le sol, suite aux affrontements qui avaient menés à sa mort, mais aucun de ces corps ne méritait de s'y transmigrer. Il ne restait plus que des coquilles de bas-étage, quelque chose qui l'aurait davantage épuisé que servi. Il décida donc de s'éloigner, découvrant les lieux sans Raegar pour la première fois.

Il contempla la vue imprenable sur la vallée, une éternité de solitude devant lui. Se remémorant des souvenirs flous de sa vie passée au bord d'un lac, il se dirigea vers un étang pour se rafraîchir. Ce n'était pas comme si ses confrères allaient le déranger, le monde était bien assez grand pour 7 bannis, depuis ce jour où il s'est vu chuter des cieux, il n'avait jamais revu aucun d'entre eux.






Hurla-t'il en direction du ciel, comme si il voulait s'adresser à quelqu'un, sans vraiment savoir qui. Enfin, il allait avoir l'éternité devant lui pour se reposer. Se reposer, pour un être immortel, semblait une ironie. Pourtant, il devait admettre que l'existence même pouvait être épuisante, même pour les défunts. Le monde des morts offrait une sorte de répit éternel, un refuge perpétuel où l'on pouvait se ressourcer, ou se perdre un peu plus, à chaque fois.

Le monde n’a que faire des râles de chacun, se  contentant simplement de suivre sa propre voie.

Cela faisait quelque  temps maintenant que Titan ère dans cette facette de Nymlerith, ce plan maudit,  unique à sept d’entre eux. S’il avait aperçu quelques de ses congénères au loin,  le démon Geo n’avait jamais pris le temps d’aller discuter avec eux, pas qu’il  en est ressenti l’envie. Il était fort à parier que de tout les démons, il était  presque sans aucun doute celui qui avait le plus erré dans cette copie  silencieuse du monde. Il faisait très peu de doute à Titan que la plupart de ses  congénères, rongés par le même sentiment, tentent inexorablement de trouver un  moyen de revenir de l’autre côté, et la méthode principale est simple : prendre  possession du corps d’un des mortels qui a passé l’arme à gauche.

Pour le démon Geo, les incursions répétées ne menaient pas à grand-chose.  Tenter de changer les choses, de revenir à comment les choses étaient est pour  lui soit un refus d’accepter le changement et donc de rester prisonnier du  passé, soit d’un manque de maturité qui mènera simplement à un sentiment de  vide, même si l’objectif d’atteindre le sommet est accompli. Lui… il avait  depuis longtemps accepté sa nouvelle condition, ce contentant donc simplement  d’utiliser les atouts que cette malédiction. La quiétude de l’endroit lui permet  de réfléchir, et s’il doit posséder quelqu’un… C’est plus pour l’intérêt que  cette personne peut lui apporter. Amusement, vision du monde, utilisation de ses  pouvoirs… Une unicité qui lui permet de faire la distinction entre chacun de ses  hôtes.

Pourtant, ce jour-là, le hasard avait bien fait les choses. Alors  que Titan continuait à errer à travers ce plan, ses émigrations l'avaient amené  sur le plus grand volcan du monde, pour admirer l’étendue du monde de son  sommet. Lors de son escalade du mont enflammée, un cri, une rage, se fit  entendre au loin. Dans ce monde où le silence est roi, le moindre bruit vient  perturber la quiétude de l’environnement, aussi lointain soit-il. Sachant  pertinemment que la source de ce bruit ne peut être qu’un de ses compatriotes,  Titan décida malgré tout de se diriger vers l’origine de ce hurlement. Voilà une  parfaite occasion de voir comment eux, ils avaient évolué depuis toutes ses  années… Bien qu’il se doute déjà de la réponse qu’il va y trouver, ne serait-ce  que par la colère qui émanait de se cri… Surtout quand il vit qui était l’être  qui explosait de colère. Titan aurait pu quitter les lieux en toute discrétion,  mais cette fois-ci, il décida de briser ses propres règles.



Le démon Pyro lui-même. Un lieu étrangement thématique pour leur réunion  surprise. Cependant, une question restait à répondre. Comment son interlocuteur  allait prendre ces retrouvailles, après tant d’années ? Il fallait dire que les  deux avaient toujours été aux antipodes en termes de philosophie… Mais était ce une surprise ? Leurs éléments représentaient deux façons différentes de voir les  choses… Mais cela ne voulait pas pour autant dire qu’ils étaient incompatibles  sur certains sujets. Un des éléments les plus destructeurs pour les mortels  prenait forme quand les deux s’associaient…

Il fit craquer son cou d'un air menaçant sans se retourner, c'était une habitude bienà lui, le feu avait de bon qu'il était toujours autant spectaculaire quoi qu'il arrive, même pour incinérer un tas de feuilles.

Ainsi, il faisait sa petite scène habituelle, venant faire vrombir sa colonne d'une rotation lente et délicate dans laquelle il illustra un sourire presque enfantin à Titan.

Dans les textes sacrés de la plupart des religions de Nymlerith, les démons étaient la lie de l'humanité, pourtant à bien y regarder, l'altercation semblait jusqu'à présent parfaitement humaine, bien loin des fantasmes chantant les louanges du Père.






Il faisait d'étranges gestes de ses mains, mimant la demi-poitrine du démon, de la démone ? Ses ailes et ses griffes. Il ne se souvenait plus avec exactitude de l'apparence première de Titan à l'âge précédant la nuit où ils ont été abandonnés par la grâce, mais il avait pour le moins changé. C'était aussi le cas d'Astaroth bien que sa transformation liée à sa démonification restait bien plus... sommaire.






Il prit le temps de se retourner complétement puis de s'asseoir au bord de cet étang en compagnie du démon geo. Il n'avait pas l'air hostile du tout, il ne l'avait d'ailleurs jamais été contre ses frères. Du moins, tant qu'il n'avait rien à y gagner.

Si ils étaient 7, ce reflet ténébreux était si grand qu'ils avaient bien souvent l'impression d'être seuls, chaque trahison, chaque fourberie était justifiable lorsqu'il était question de fuir cette folie. Mais parfois, cette géôle pouvait former quelques moments uniques comme ceux là entre les deux êtres bannis des cieux.

C’était avec un regard impassible, peut-être même las,  qu’il observait la scène qu’Astaroth faisait. Pour se mettre en spectacle, il  était difficile de trouver mieux que le démon de feu. Même si contre lui, ça  n’avait pas l’effet estompé. Il fallait avouer que Titan avait l’habitude, et de  plus… À qui il pensait faire peur, dans ce monde peuplé de… Sept démons ?  Pourtant, au bout de quelques instants, c’était bien un sourire amusé qui avait  fini par apparaître sur le faciès de Titan. Il mentirait en disant que les rites  d’Astaroth n’étaient pas ce qui mettait de l’ambiance, de nos jours plus que  jamais. Dans ce monde où seuls les morts apparaissaient, même pour le démon Géo  et son attitude relativement passive, voir de l’agitation était plus que  bienvenue.

Le sourire lui s’étira quand son confrère tenta de décrire sa nouvelle forme.  Il fallait avouer que le démon était plutôt fier de sa nouvelle apparence.  Serait-ce, car il pouvait savourer la confusion que cela donnait aux autres ?  Est-ce que forme n’était simplement pas la représentation même de l’élément avec  lequel il était lié, ou simplement... Parce qu’il avait déjà pleinement accepté  sa déchéance ? Un mystère que le démon laissera planer même plus d’un siècle  plus tard.

Titan s’approcha de l’étang, pour se positionner à côté d’Astaroth, utilisant son pouvoir pour donner forme à un siège de fortune alors qu’il s’installe… Ce n’était pas comme s’il pouvait faire plus que cela dans ce plan immatériel. Une  fois installé, il avait repris aussitôt la conversation, son regard hétérochrome se perdant le calme de l’eau.

Après tout, ses tribulations dans ce plan lui avaient permis de se poser des  questions, de faire une introspection sur ce qui avait mené les sept à finir… Et  bien, à devenir ce qu’ils sont désormais, bannis dans un monde entre la vie et  la mort, sans pouvoir pleinement profiter de l’un ou de l’autre. Maudit à voir  les éléments dont ils avaient la maîtrise à se corrompre par leur contact.  Exclus dans les pensées des mortels comme des êtres remplis de malice… Bon,  peut-être que ce dernier point n’était pas totalement sans fondement.

Titan haussait légèrement les épaules. Vouloir changer le monde est un  fantasme à ses yeux… Ce n’est qu’un éternel cycle, destiné à reprendre sa forme, peut-être légèrement altérer, mais qui reste immuable. Le mieux à faire… C'était de se changer soi-même. Un fait qui était très difficile pour lui de par sa  nature, et qui donc, l’amenais à avoir des possessions plus… Spécifique.

Astaroth écarquillait les yeux, l'air incrédule, toujours sa moue amicale, il passa une main dans l'eau, faisant crépiter celle-ci et déclenchant quelques modestes bulles, accroupi comme une gargouille au bord de l'étang, prés de Titan.






Puis d'un geste brusque, il envoya une valse d'eau sur Titan pour le déranger, de manière tout aussi enfantine que l'aurait fait deux vieux amis. Il faut dire qu'il prenait ses aises avec sa maîtrise de la terre, à se faire des trônes là où il le souhaitait.





Il expira longuement, continuant à jouer de sa main dans l'eau de l'étang, en se perdant dans ses ondulations aqueuses, il lui vint alors une idée ! Qu'il était stupide de ne pas y avoir pensé avant, Titan comme à son habitude, avait un petit truc bien à lui pour se divertir de l'oubli.