Le craquement sous ses mains ne lui tire qu'un mince sourire de satisfaction.

   Lentement, il se redresse, et sa façon de laisser ses bras trainer devant lui alors qu'il fait un pas en arrière évoque plus un fantôme qu'un guerrier. Il est grand, musclé, et a une carrure ne cachant rien de la puissance qu'il pourrait développer, mais rien d'exceptionnel. Un combattant comme les autres, sur un champ de bataille à l'échelle du monde. Pourtant, tu as vu ce qu'il avait fait à cet homme.

   Il s'était joué de lui, avec une aisance désolante. Chacun de ses mouvements était lent, et pourtant, il esquivait chaque attaque de son ennemi, comme s'il suffisait de danser avec lui pour triompher. Chacun de ses mouvements était complémentaire de celui de son adversaire, comme s'il était capable de voir l'avenir, alors qu'il se contentait d'observer ses mouvements.

   Ses yeux n'avaient pas cillé une seule fois, durant leur combat.

   Ce n'est qu'après avoir saisi l'arme de son adversaire au vol, la lui avoir arraché des mains d'une rotation expresse, et lui avoir planté sous la mâchoire qu'il s'était paresseusement frotté les yeux, avant de nettoyer sa main pleine de sang sur l'ample hakama noir de sa tenue. Il s'était penché sur le cadavre de son ennemi, et, lentement, ses mains avaient commencé à craqueler son crâne. Il n'avait fallu que quelques secondes pour qu'il se brise.

   Il tourne le regard vers toi. Des yeux noirs sans émotion.

   Tu sais que tu es mort.

   
   Sous ses paupières closes, ses yeux remuent en tout sens, mais son corps ne bouge pas. Les tourments qui le brûlent de l'intérieur sont internes, et l'ont toujours été. Il est assis contre un mur, le coude sur son genou droit dressé, l'autre main tenant un couteau, et il dort. Sa respiration est lente, faisant à peine bouger sa poitrine, et il semble apaisé. Hormis pour celui qui regarde ses yeux.

   Les tourments qui le guettent sont multiples. Il a peur. Une peur primale, toute puissante, qui dévaste toute trace de raison en lui. Une peur ancestrale, qui remonte de si loin qu'il en a oublié l'origine. Il n'a jamais cessé d'avoir peur. Dans toute l'intensité de cette peur, tout devenait paradoxal. Tout son corps se glace, et pourtant il brûle de fièvre. Il ressent la joie et la peine avec beaucoup plus de profondeur, mais est incapable d'en parler, ou même de la communiquer. Il craint que s'il cesse de courir après le frisson, s'il ne chasse plus, Elle le rattrapera, et le dévorera.

   Est-ce le destin ou la folie ?

   En songe, il ne cesse de revivre encore et encore les mêmes années. Il aime, et il pleure. Il se repose, et il ne trouve pas le sommeil. Il est hanté par une époque révolue depuis quelques jours et des décennies. Parfois, il se demande si lui même n'est pas un fantôme. Est il mort, ce jour là, et n'observe t'il pas les pathétiques efforts de ce qui fut son corps pour survivre et trouver un nouveau sens ? Puis il se rappelle que cette question n'a pas de sens. Pourquoi s'interroger sur ce qu'il ne peut pas contrôler ?

   Alors qu'il peut contrôler la mort elle-même. Ses poings ont été façonnés par un dieu cruel pour la fin de toutes choses. Il aime, non pas se battre, mais éprouver sa puissance. Se venger, peut être ? Détruire, en tout cas. Il sait qu'il est fait pour cela, et rien d'autre. Jamais ces mains ne seront amenées à caresser, embrasser, palper ou éveiller des corps au plaisir.

   Tout ce qu'il touche se fend.

   Alors il ne le touchera jamais. Celui autour de qui il a construit cette non-vie. La cause qu'on lui a donné, pour l'apaiser et le maintenir en laisse. Même quelqu'un comme lui avait besoin de croire en quelque chose, d'un rêve. Et ce rêve, c'est lui. Son petit frère. Celui qu'on appelle ainsi, du moins. "Leur" père l'a appâté en lui promettant ce dont il avait besoin. Il s'est servi d'un nouveau-né pour rendre un peu d'espoir à un homme brisé. Et il a mordu à l'hameçon, pour ne jamais s'en défaire.

   Il sera toujours à ses côtés, car il est, à défaut d'être Rédemption, Promesse.

   
   Ses yeux étaient d'ambres, et sa chevelure d'un noir bleuté. Une balafre ornait la droite de sa lèvre supérieure, remontant presque jusqu'à son oeil, fendant sa peau d'albâtre d'un disgracieux trait pourpre. Et pourtant, alors qu'elle était couchée sur lui, il ne pouvait cesser d'embrasser son aspect, incapable de bouger. Par peur de la réveiller, sans doute... Il la gravait dans son esprit.

   Elle était née vingt trois ans plus tôt. Son père était kuroïte, mais sa mère était une fille de joie venue du continent. Elle avait hérité de ses yeux dorés, et des traits de sa mère. Quant à lui, il était né la même année, avec seulement quelques mois d'écart. Leurs mères aimaient prétendre que les pères de leur enfant étaient frères, ou que celui de Yalsan était le garde du corps de celui de Narii.

   Il ne fallut que quelques années pour que l'on devine à quel point elle serait belle. Elle avait en elle une élégance et un raffinement qui ne pouvait provenir d'aucune de leurs mères ou tantes. Naturellement, elle papillonait, gracile, apportant raffraichissements et apéritifs d'un bout à l'autre de la maison. Et, bien sûr, elle dissimulait comme on lui avait appris le pendentif orné d'un joyau céruléen qu'elle avait toujours eu.

   Il l'observait depuis la cour interne. Celle où les clients n'allaient jamais. Celle où les quelques gardes chargés de virer les clients trop insistants ou bannis s'entrainaient. Celle où ils s'amusaient à lui jeter des noyaux de fruits lorsqu'il dormait, ou le frappaient pour l'entrainer. Celle où, inlassablement, après son service, elle venait nettoyer ses blessures, ses prunelles miel se colorant d'azur alors qu'elle calmait ses plaies avec sa magie.

   Parfois, elle allait sur le toit observer les étoiles, la nuit venue. Elle observait le ciel, les bras croisés sur ses genoux, et il la rejoignait. Elle lui apprenait le nom des astres, qu'elle avait appris dans des livres ou en parlant avec des clients, et lui parlait du monde à l'extérieur, où elle allait faire des courses et apporter des messages. Parfois, elle apportait depuis les cuisines les restes de la journée, et ils mangeaient au son mélodieux de ses babillages.
   

"Lorsque je serai déesse, je te garderai à mes côtés, Yalsan. Toi et moi serons toujours ensemble."

   Il avait tourné la tête vers elle, et elle lui avait pris la main, sans cesser de regarder les étoiles. Ses joues avaient rosi, et il aurait aimé lui dire tellement de choses. La remercier, peut être, ou lui dire qu'elle n'avait pas besoin de devenir déesse pour qu'il reste avec elle... Mais il n'avait rien trouvé à dire. En silence, il avait serré sa main pour seule réponse.

   Ils n'avaient pas encore l'âge de ne plus être des enfants.

   Elle ne put rien faire lorsque les gardes le jetèrent dehors le lendemain. On lui dit qu'il était une bouche à nourrir de trop, qu'il n'apportait rien... Et elle savait qu'il n'accepterait pas ce qu'elle devrait faire dans les mois suivants. On lui en parlait depuis des mois, déjà. De plus en plus de clients se mettaient à parler d'elle, leurs crasseux sous-entendus devenant évidents... Elle était le plus grand espoir de leur maison, et rien ne devait venir contrevenir à cette destinée.

   Elle endura quelques semaines cette nouvelle vie, malgré les douleurs et les mauvais traitements. Elle avait appris que son ami était encore en ville, alors elle prenait le peu de temps libre qu'on lui accordait pour le chercher, mais jamais elle ne le trouva. Une fois de plus, il l'observait depuis les ombres. On lui avait dit, après tout... Elle n'avait pas besoin de lui. Les gardes veilleraient sur elle. Et si il la contactait, si il lui parlait, ils le tueraient... Mais il avait promis d'être là pour elle. Il devait rester en vie. Pour, un jour, lorsqu'elle deviendrait déesse, revenir à ses côtés...

   Mais un jour, elle partit. Elle monta dans une caravane à destination de la capitale, et dès qu'il l'apprit, il la suivit à pieds, emmitouflé dans le pan de tissu abîmé qui lui servait de manteau. C'est dès la nuit tombée qu'il retrouva la caravane, arrêtée pour reposer les bêtes. Et, à l'arrière de la caravane, qu'il commit ses premiers meurtres pour défendre l'honneur de celle qu'il servait. Ce soir là, elle se blottit dans ses bras en pleurant, et il fut incapable d'y répondre.

   Cette fois, c'est lui qui soigna la blessure qu'ils lui avaient faite pour la contraindre, dévoyant sa beauté parfaite.

   Quelques jours plus tard, ils arrivèrent à la capitale, après s'être séparés du groupe sans un mot, laissant les cadavres derrière eux. Ils vivaient de larcins et des dons de guérisseuse de la jeune femme, le garçon assurant leur protection. Une vie chiche, mais qui leur plaisait à tous les deux... Malgré l'amour qu'ils avaient l'un pour l'autre, elle était terrifiée à l'idée d'être touchée, et il respectait ses envies. Ils auraient pu mener leur vie ainsi, si le destin n'en avait pas décidé autrement.

   Ils arrivèrent alors que le couple approchait de ses vingt ans. Un elfe et une qalishi, prétendant venir soigner une maladie de la femme, mais le protecteur vit tout de suite les éclats écarlate et prune de leurs yeux, dissimulés sous leurs vêtements. Malgré ses avertissements, la jeune femme accepta de rejoindre leur groupe, prétendant vouloir devenir les nouveaux dieux de ce monde. Après tout, elle voulait obtenir le pouvoir de toujours le garder auprès de lui...

   Mais malgré toute sa bonne volonté, les deux porteurs d'yeux étaient trop différents d'eux. Pour s'entrainer, ils utilisaient la détresse de marchands ou de familles éplorées pour traquer des criminels et les torturer jusqu'à finir par les achever, souvent par accident. Parfois, le jeune homme achevait les cibles de ses partenaires, incapable d'endurer la vue de leur souffrance, mais cela ne se faisait jamais sans remontrances.

   Et un soir, alors qu'il rentrait de patrouille, son coeur fut brisé. Un autre porteur d'oeil Hydro avait été repéré en Meridiem, voilà ce que l'elfe disait à voix basse à celle qu'il aimait. Aux spasmes de son visage, et à l'immonde odeur qui se dégageait de la scène, il eut l'horreur de regarder la main sur son épaule. Des arcs électriques en sortaient, alors qu'il faisaient passer des éclairs à travers le corps de sa déesse.

   Il suffit de quelques minutes. L'elfe ne put jamais le toucher, et la qalishi ne réussit jamais à mettre assez d'écarts entre eux pour être capable de le blesser. Dans le terrible silence seulement ponctué des gémissements de Narii, il se pencha au dessus d'elle, et recueillit ses derniers murmures.

   Alors, il la prit dans ses bras, et se coucha sur le dos. Elle releva les yeux vers lui, sourit, soupira d'aise... puis plus rien.

   Ses yeux étaient d'ambres, et sa chevelure d'un noir bleuté. Une balafre ornait la droite de sa lèvre supérieure, remontant presque jusqu'à son oeil, fendant sa peau d'albâtre d'un disgracieux trait pourpre. Et pourtant, alors qu'elle était couchée sur lui, il ne pouvait cesser d'embrasser son aspect, incapable de bouger. Par peur de la réveiller, sans doute... Il la gravait dans son esprit.

   Il referma ses yeux, avant de se relever, de la prendre dans ses bras, et de l'emmener. Il passa les mois suivants, ou peut être les années, à parcourir le monde, dérober les biens les plus précieux de tous les pays, et les offrir à la mer, pour acheter le passage de celle qu'il aimait dans le monde des morts. Jamais, jamais il n'eut l'impression d'en faire assez. Jamais il ne put se pardonner. Jamais il n'arrêta de se battre, de chasser.

   Et un jour, il perdit de vue son objectif. Il commença à traquer, non les richesses, mais les yeux. Les uns après les autres, ils tombaient sous ses coups. Parfois, ils arrivaient à le blesser, et il devait faire preuve d'intelligence. Parfois, il suffisait de tuer les protecteurs des yeux, et de les achever ensuite. Le plus souvent, ils étaient si faibles qu'ils mouraient avant d'avoir pu se défendre.

   Ses yeux étaient d'ambres, et sa chevelure d'un noir bleuté. Une balafre ornait la droite de sa lèvre supérieure, remontant presque jusqu'à son oeil, fendant sa peau d'albâtre d'un disgracieux trait pourpre. Et pourtant, alors qu'elle était couchée sur lui, il ne pouvait cesser d'embrasser son aspect, incapable de bouger. Par peur de la réveiller, sans doute... Il la gravait dans son esprit.

   Il traquait un oeil divin dans le pays qui l'avait vu naître, quand il dut se rendre compte que les rumeurs étaient infondées. Personne parmi les Sosuke n'en avait. Qui avait répandu les rumeurs ? Eux-mêmes, pour se donner de l'importance ? Des ennemis cherchant à attirer sa fureur sur eux ? Ou le simple racontar public ? Peu importait. Il perdait son temps.

   Il la gravait dans son esprit.

   Mais il pouvait sentir... son instinct ne le trahissait jamais. Il y'avait quelque chose. Il y'avait quelqu'un. Il y'avait un oeil.

   Ses yeux étaient d'ambre, et sa chevelure d'un noir bleuté.

   L'odeur de sang autour de lui était omniprésente, alors qu'il ouvrit la porte de la chambre. C'était là qu'était l'oeil. Les gardes n'avaient pas été suffisants. C'est un landau qu'ils protégeaient. Il leva son bras, mais ne parvint pas à l'abattre

   Par peur de la réveiller, sans doute...
   

  "Rejoins notre famille... Protège-le, plutôt que de le tuer... Pitié, Père du Sommeil..."

   Le bruit parasite l'énervait. Il voulait en finir. Il voulait partir. Il entendait ses derniers murmures. Il sentait ses bras autour de lui. Inertes, et qui avaient pourtant brûlé leur trace dans son âme.

   Ses yeux étaient d'ambres, et sa chevelure d'un noir bleuté. Une balafre ornait la droite de sa lèvre supérieure, remontant presque jusqu'à son oeil, fendant sa peau d'albâtre d'un disgracieux trait pourpre. Et pourtant, alors qu'elle était couchée sur lui, il ne pouvait cesser d'embrasser son aspect, incapable de bouger. Par peur de la réveiller, sans doute... Il la gravait dans son esprit.

   Doucement, il avait hoché la tête.

  Sosuke Darui...

   Un nom ridicule. Mais elle aurait aimé qu'il suive ce chemin. En tout cas, elle aurait préféré cela à l'alternative... Alors il passe cette laisse à son cou, et relève les yeux vers les étoiles.
   

"Lorsque je serai déesse, je te garderai à mes côtés, Yalsan. Toi et moi serons toujours ensemble."

   Alors que les larmes coulent, il serre ses mains l'une contre l'autre.

   Comme il aimerait pouvoir se détruire lui-même.
   

Est-ce là l'enfant qu'il n'a jamais eu, ou voit-il sa défunte compagne dans son regard, les raisons qui poussent le légendaire Père du Sommeil à s'éprendre d'affection pour celui qui deviendrait plus tard l'un des plus cruels Princes Marchand sont floues, mais qu'importe, car le présent n'attend pas puisque...

Tu es validé !

Bienvenue à toi sur Mirror of Magic, finalement c'est que du pipot ces histoires, ces mains ont déjà caressés quelqu'un !

Penses à faire ta fiche technique pour pouvoir combattre librement, sinon, tu peux aussi très bien rechercher des partenaires pour tes premières aventures. Mais c'est toujours mieux avec la fiche technique, ça donne plus de libertés concernant tes capacités et puis...


Ainsi tu commences l'aventure avec 1,000 points de Potentiel

Bravo, et bon shopping pour tes étiquettes !